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Chapitre 6 | Green
Le récit de Julien
La douche nous accueille et je peux enfin détailler son tatouage, cette gravure corporelle, comme une étole négligemment jetée sur son épaule droite. Elle cascade dans son dos, rebondit au creux de son rein, se développe sur sa fesse, pousse ses tiges volubiles sur sa cuisse, son mollet et dépose ses dernières feuilles vertes sur son coup de pied. Une guirlande de verdures semée de fleurs en majorité rouges ou roses aux pétales cernés de sombre et, je l’aperçois maintenant, peuplée d’insectes divers, de tout un monde minuscule qu’on devine bruissant, industrieux, qui butinant, qui grignotant, qui chassant, qui tapi.
Je l’ai immobilisé d’une main à son épaule pour contempler cet immense dessin, précis et coloré, singulière allégorie de vie*1 que cet homme a désiré imprimer sur son propre corps ; alors, spontanément me viennent les mots de Verlaine :
Voici des fleurs, des fruits / Des feuilles et des branches, / Et puis voici mon cœur qui ne bat que pour vous, … » et il poursuit :
Ne le déchirez pas avec vos deux mains blanches, / Et qu'à vos yeux si beaux, l'humble présent soit doux*².
Il s’est simplement tourné vers moi, un sourire aux lèvres qui, lentement, s’épanouit. Puis il baisse la tête et demande :
- « savonne-moi le dos, s’il te plait. »
Je n’interrogerai rien de son souvenir, respectant ce qui lui appartient et dont il a voulu marquer son corps, mais je suis heureux de savoir que nous partageons la connaissance de ces vers fameux. Celui que je frictionne énergiquement en est un peu plus mon frère en humanité, et je vois, dans cette amicale complicité, comme un garde-corps qui me protège de certains vertiges dont je redoute qu’ils reviennent et ne m’emportent. Puis, dans nos chaleureuses brassées réciproques, nous entretenons cette fraternité virile de vestiaires, cette reconnaissance mutuelle qui, d’un coup, me ramène à l’appétit du monde et de ses plaisirs.
J’enfile un peignoir en éponge mais lui décline celui que je lui tends et me suis, nu, en cuisine. Tandis que je m’affaire aux fourneaux, il dresse la table, sollicitant mes éclairages pour trouver ce dont il a besoin, souple, efficace, avec toute l’apparence d’une insouciance légère, sa bite ballant librement entre ses cuisses, rayonnant de cette énergie positive qui vaut toutes les beautés tant elle transfigure celles et ceux qu’elle anime.
Rafraichissante cure de jouvence.
Je suis allé chercher un Chardonnay de Bourgogne, région dont on dit le cépage originaire, avec quelques années de garde pour avoir un vin rond, gras, soyeux et gourmand, doté d’une belle robe d’un opulent jaune doré et de puissants arômes.
L’heure n’est pas au Carême.
Nous trinquons alors que nous sommes encore debout. Je le vois humer son verre, le mirer et fermer les yeux sur la première gorgée, soufflant par le nez avec un air extatique … avant de les ouvrir en grand, sourcils relevés. Il porte son verre à mon front, à mon cœur, puis se rapprochant avec une lueur malicieuse, l’applique sur mes parties génitales :
- « à nos têtes, à nos cœurs, à nos bites et à tout ce qui les réjouit. Je suis votre redevable stagiaire, mon cher futur collègue. »
Puis nous entamons le diner à belles dents, lui me narrant quelques-unes de ses mésaventures australiennes avec force démonstrations de la voix et du geste et je ris de bon cœur à ses pitreries et à son goût prononcé pour les calembours, même les plus foireux, puis, repu, je recule ma chaise pour étendre mes jambes croisées.
- « c’est alors que les choses se corsèrent et puis ratent*3 … »
Il a contourné la table sans me quitter des yeux, comme suspendu à mon avis sur ce dernier jeu de mots qu’il répète. Il s’est assis d’une fesse sur le bord, à ma gauche, me faisant face, une jambe pendante, animé, véhément, son verre d’une main. Il le contemple, il est vide ! Il le pose derrière lui, se retourne, me prend le mien des mains, le lève devant ses yeux.
- « voyons un peu à quoi tu penses … »
Et il lève le coude, dévoilant le fin toupet de son aisselle, son torse athlétique est lisse à l’exception de quelques poils courts, fins, dispersés et, étroitement frisés, comme ceux de l’intérieur de sa cuisse qui repose à plat sur la table. Sa fourrure pubienne parait taillée. Il balance son pied libre, vient à mon contact, y reste. Et moi, je demeure impassible, le sourire narquois sous la lame de son regard tandis que ses orteils retroussent maladroitement le pan de mon peignoir, grignotent, progressent, s’insinuent.
Une certaine émotion parait développer sa queue qui, il y a peu, ne m’était pas visible et dont, maintenant, l’arcure me révèle le méat où perle une goutte translucide.
D’un coup, j’attrape son pied pour poser sa tranche en travers de mes cuisses. Un grand pied, dont, du dessus d’un doigt, je souligne d’abord la courbe de l’arche à la peau finement plissée, puis l’hallux*4 à l’ongle carré ; c’est, chez lui, l’orteil le plus long comme chez les égyptiens. Son coup de pied, fort, est piqué de quelques poils enroulés. Ma main droite le moule, la pulpe de mes doigts pianotant sur le relief des cinq rayons de ses métatarses quand ma gauche enveloppe son talon. Je caresse doucement son pied à la peau douce et frissonnante. Cette extrémité, mystère de complexité anatomique, supporte tout le poids de notre corps, elle nous permet la station debout et la bipédie qui nous émancipent du règne animal !
Benjamin a de beaux pieds carrés, grands, forts.
Je relève les yeux vers lui qui se mord la lèvre pour résister à la tension que font naitre mes agaceries et nos sourires éclatent en même temps, complices, presqu’enfantins.
- « viens ! »
Lequel a entrainé l’autre ? Peu importe puisqu’à l’évidence, il nous fallait poursuivre notre découverte réciproque, l’exploration de nos anatomies, l’expérimentation de nos sensations. Il me faut cependant lui rappeler QUI est le maitre des lieux et QUI est le stagiaire et prendre la tête de la mission, l’allongeant sur le dos sur la couette, le maintenant dans la ouate d’une pression sur le sternum.
Puis je me redresse pour le contempler, me délectant par avance de ce corps solide qui réclame et s’abandonne au bon vouloir de ma lubricité. Benjamin croit « savoir où il est » ? Et si je parvenais à l’entrainer à la découverte de ce qu’il ne soupçonne pas ?
* Les Indes Galantes : acte 3, le ballet des fleurs Jean-Philippe Rameau
*² « Green » Poème de Paul Verlaine à lire ici. Verlaine est un des poètes les plus mis en musique, de Claude Debussy, Reynaldo Hahn à Léo Ferré, Julos Beaucarne et, ici, par Gabriel Fauré, interprétation de Gérard Souzay, baryton, accompagné au piano par Dalton Baldwin en 1955.
*3 « Corsaires et pirates » … oui, je sais, c’est pas fameux !
*4 Quel est le nom des orteils ?
Amical72
amical072@gmail.com
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