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Chapitre 5 | Insolence de la jeunesse
Le récit de Julien
La porte de ma chambre claque sur nos talons quand il s’abat sur le lit. Il y progresse à quatre pattes et je ne vois que cette pleine lune voilée d’un stretch gris qui la dessine parfaitement. Je glisse mes deux mains sous le large élastique noir et, encadrant cet astre comme on découvre un globe, précieux de s’offrir ainsi sans arrière-pensée, j’admire cette peau claire entaillée par son sillon. J’effleure de la paume cette double colline puis je retrace d’un doigt léger les traits colorés que les aiguilles y ont dessinés à l’encre.
Il s’est effondré sur le drap, les épaules écrasées pour mieux dresser sa croupe, son visage tourné dans ma direction laisse filtrer une lame de regard qui semble m’inviter d’un « mais qu’attends-tu ? » impatient.
Oui, je rêvais !
Mes mains remontent le long de ses cuisses, mes pouces tournés vers l’intérieur pressent et l’ouvre comme un fruit. Je vois apparaitre son joli cercle plissé cerné de poils drus. Je hume son odeur de male, j’y risque la pointe de ma langue pour surprendre ce premier réflexe, cette infime contraction. Je mords à pleine bouche dans chaque rive, ma langue vorace détrempant tout sur son passage vient, enfin, balayer cette anémone de mer, puis revient, insiste, se fait tantôt lourde tantôt légère, dans l’espoir de la faire s’épanouir …
Il a soupiré. Ses paupières maintenant closes ne m’intiment plus aucun rappel, sa bouche est entrouverte et son souffle s’est fait irrégulier, pour s’accorder au rythme de ses frissons, de ces ondes qui le soulèvent et viennent mourir dans sa nuque. Il a posé ses deux mains à plat de chaque côté de son torse et il y prend appui comme on fait des pompes, pour se tourner, retourner, secouer sa tête, nuque ployée comme au sortir de l’eau.
Mon doigt, détrempé de salive, s’insinue en lui et je lis sur sa peau qui se hérisse mieux que sur un écran, le sillage de ma progression. Et je touche. Comme avec Lecourt.
Il a comme éternué avant de reprendre une grande goulée d’air en sifflant. Je le couvre de baisers comme autant de touches diluées d’aquarelle. Ne jamais surcharger de couleurs mais laisser diffuser, lentement, sans écraser le pinceau. C’est le vol de l’insecte butineur, lancinant, obtus, déterminé : je veux écarter souplement sa corolle de mon bâton à plaisir.
J’ai attrapé ma trousse de survie en milieu gay : préservatifs et lubrifiant. Non, ce n’est pas du calcul … mais de l’anticipation ! La culture de celui qui a grandi dans un milieu modeste, à l’économie fragile, où soudain tout peut venir à manquer et où l’on garde, conserve, amasse, en prévision des heures de froid et de disette … comme des « grandes occasions ». Alors, imaginez : recevoir un beau stagiaire de trente ans à qui j’ai annoncé que je vais l’enculer et manquer de gel ou de capotes à l’heure de conclure ? Non, de telles ratés ne sont vraiment pas mon genre, ce n’est pas moi qui gâcherai ainsi la fête !
Alors maintenant, mon pouce le masse et l’enduit grassement, le fouillant, l’ouvrant, le disposant alors que ma bite capotée se fait entendre, tapotant sa fesse comme on heurte à la porte.
Je m’allonge sur lui et nos corps cherchent comment s’ajuster ; les courbes, les crêtes, les peaux, les poils prennent place. Mon bassin coulisse vers le bas et, d’un petit geste de la main, mon gland se niche. Lui ondule, s’impatiente, une veine bat. Je temporise, le retiens.
Mais je sais bien que, secrètement, les pôles s’attirent déjà, que la lente aspiration est entamée, mue par nos désirs mutuels. Il répète en mantra des « viens ! » de naufragé ; je me sens déraper comme la boule de la roulette qui, inexorablement, ira se caler dans sa loge, une inclination atavique contre laquelle il est vain de lutter.
Et s’il siffle et renâcle, lâchant brusquement un souffle trop longtemps contraint, surmontant le désagrément passager, c’est bien qu’il SAIT, qu’il y a un but, une place dédiée à atteindre, une station où l’on peut enfin faire relâche, où seront libérées les amarres, où s’élanceront les bielles. Et il s’y précipite.
Dans un effort soudain, il nous a soulevés, s’est planté sur ses genoux écartés et ses poings serrés à l’extrémité de ses bras tendus, reins cassés pour rester dans le droit fil de l’élan. Il grogne, il geint, il peine, il se repousse sur moi. Je le lime simplement, souplement, une main maintenant notre position, l’autre lui caressant le dos et cette grande guirlande verte et fleurie qui cascade de son épaule comme celles qu’on voit au front des jeunes bergers de la peinture italienne*.
Je le laisse courir son plaisir immédiat, la bride sur le cou, jeter son feu comme un jeune cheval grisé, va, va ! Galope !
Mais le voilà qui, d’un coup, brise son élan, tête tombante, un bras s’effondre sur le coude, hoquetant, à court d’air. C’est mon temps maintenant ; celui où je l’enveloppe de mes bras pour le redresser contre moi, sa tête cassée à l’envers sur mon épaule. Mes doigts jouent avec ses petits tétons durcis, éraflent sa peau chatouilleuse. Arquant ses reins, tout son poids descend dans ses hanches et il s’empale. Je le transperce. Point n’est besoin d’amples ramonages, de sèches contractions de mes abdos suffisent à lui envoyer de foudroyants éclairs et il tressaute, mu par des ressorts insoupçonnés et brusquement libérés.
Il est poids mort et, dans l’instant qui suit, tétanisé par cent mille volts puis il fond comme une crème glacée onctueuse et veloutée. Alternativement, son cul me brûle, me serre, me dévore, puis, dans la seconde, m’entoure de mille douceurs et me cajole. Qu’il est beau à voir jouir ainsi ! Il a lancé son panache et maintenant, il tente de retenir les derniers lambeaux de plaisir, les traque, les savoure avec de souples arabesques des hanches.
Il murmure, se fait liane et m’enlace, s’inquiète de mon plaisir, puis, dans un profond soupir, se détache et se coule comme un serpent sous la couette où il m’invite du geste à le rejoindre. Il nous en recouvre totalement et, dans cette semi obscurité protectrice, il peut s’étirer en se frottant à moi comme un chat, avec des soupirs d’aise.
J’ai posé ma grosse paluche sur lui, un simple contact, et je le sens, plein de vie, de sève, qui me tire vers la lumière et polit mes souvenirs d’un onguent apaisant. J’avais vingt ans quand je suis entré dans cette maison. D’un coup, il se détend, s’assoit et se tourne vers moi.
- « Allez Papa ! Debout maintenant ! »
- « Insolente jeunesse ignorante … »
Il retombe sur un coude et vient promener ses doigts dans la fourrure de mon torse, son regard pétille.
- « J’ai encore tant de choses à voir … et ce stage sera si court… »
* Tel Bacchus peint par Le Caravage à la toute fin du XVIème siècle, couronné de pampres et de grappes de raisin
Amical72
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