1 | Interdépendance
Le récit de Julien
Ce vendredi matin, après nos galipettes de la nuit, nous nous sommes levés et préparés avec une rare efficacité mais un silence absolu règne entre nous. Mehdi ayant promis d’aller passer le week-end avec sa mère, je l’ai encouragé à respecter son engagement mais, pour parler franc, je le regrette déjà. Il me semble que, lui parti, un vide abyssal va se creuser dans ma maison où il a comme trouvé sa place et que devoir ne penser que pour moi seul souligne son absence à venir.
Mon isolement.
Alors, je ne me sens pas capable de tenir une conversation même banale et, aux regards lourds qu’il me lance par en-dessous ses sourcils, j’imagine qu’il en est de même pour lui.
Puis il est parti et je me suis figé pour écouter le bruit du moteur qui s’éloigne comme pour ancrer une certitude : il est VRAIMENT parti.
Ensuite, je reprends le cours habituel de mon existence … mécaniquement.
Une journée que je débute par une sortie à cheval : cinq minutes de pas, dix de trot puis galop, pendant une bonne demi-heure, à une allure cadencée, régulière qui nécessite relâchement, respiration profonde et écoute réciproque entre la monture et son cavalier, une vraie leçon de vie et de modestie, qui remet les idées en place : non, mon nombril ne constitue pas le centre du monde et non, je ne suis pas le plus malheureux sur la Terre.
Aussi, au retour, l’alezan a droit a un bon pansage avec douche et une petite ration de grain puis à la détente au pré. Moi, je prends le tracteur pour déchaumer.
Mais vous savez comment ça tourne dans la tête d’un homme dés qu’il a un peu d’espace mental disponible, l’opiniâtreté de cette vis sans fin, … Alors là, dans le ronronnement régulier du moteur, mes pensées retrouvent Mehdi.
Inexorablement.
L’idée de sa simple présence à mes côtés qui implique l’échange, le partage du quotidien s’impose à moi comme une douce évidence. Je me dois de reconnaître que, de ce point de vue matériel, notre « cohabitation » a été d’une étonnante aisance et d’une absolue harmonie qui me confortent. L’abri, la couche, la pitance, ce quotidien que Lecourt se refusera toujours à partager avec moi, simplement parce que je suis un homme et qu’il n’envisage d’autre forme de couple que celui composé d’un homme et d’une femme, la présence de Mehdi les a fait surgir comme une nécessité apaisante, une complétude vitale.
J’y perçois, une nouvelle fois, la démonstration criante de notre interdépendance, entre humains tous membres de la même espèce grégaire. L’époque lointaine où nous étions des êtres faibles et des proies faciles l’a probablement inscrite dans notre patrimoine génétique : dans son abri sommaire, l’homme ne parvenait à trouver un sommeil à la profondeur vraiment réparatrice qu’avec la quiétude que lui apportait la certitude d’appartenir à un groupe organisé pour veiller sur lui, prêt à se défendre et lui-même, il ne s’assurait de sa digne place dans cette société qu’à l’aune de l’utilité du rôle qu’il y tenait.
C’est ainsi ; depuis la nuit des temps, c’est notre interdépendance qui nous sauve et le sentiment de gratitude qui en découle nous lie les uns aux autres.
Pour la première fois, je sais.
J’identifie clairement ce qui est, aujourd’hui, MON désir profond. Oui, j’aimerais avoir un amant auprès de qui m’endormir chaque soir, qu’il veille sur mon sommeil comme moi sur son repos, qu’il soit mon recours et moi le sien et que la reconnaissance de cette fraternité nous unisse par un pacte solide pour nous construire une vie en commun.
Que mes goûts me portent à choisir un homme ne change rien à l’affaire.
Mes bras gardent encore le souvenir de la forme du corps chaud et détendu de Mehdi qui se blottit contre moi entre les draps, ils sont prêts à l’enserrer à nouveau. La conscience de cette familiarité fait soudain naître une vague de tendresse qui me le rend cher et me précipite vers lui. En pensée.
Amical72
amical072@gmail.com
* "Clap along if you feel like happiness is the truth / Claque des mains si tu sens que le bonheur est la seule chose qui compte / Because I’m happy... / Parce que je suis heureux / Clap along if you know what happiness is to you / Claque des mains si tu sais ce qu'est le bonheur pour toi / Because I’m happy... / Parce que je suis heureux " Sortie en 2013 pour la bande originale du film "moi, moche et méchant 2" la chanson écrite et interprétée par Pharrell Williams rencontre un succès phénoménal : Happy
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