Chapitre 1 | Pris au jeu
Le récit de Toni
Je sors lentement des brumes du sommeil, couché sur le côté droit, dans la lueur du matin filtrée par les volets de cette chambre. Je sais très bien où je suis, et ce qui m’a conduit là.
Ça commence à la fac, avec un intervenant … une vision ! Imagine une sorte de Barak Obama descendant la passerelle de US Force One, délié, élégant, souriant, regard pénétrant, et il ME tend la main … Éblouissant !
Mais ce Barak-là a trente ans et un rainbow flag sur son trousseau de clés. Alors, entre potes, on engage un pari et je me réjouis encore de l’aplomb inouï avec lequel je revendique « il est pour moi ! »
J’étais moins fier à bras pour affronter la suite …
Car le beau mec n’est pas du genre à se laisser emballer avec une main lancée au paquet par cet étudiant balourd qui lui court aux trousses dans la coursive. Il me capture du regard et je deviens un de ces jouets en caoutchouc qu’on lance au chien de chasse pour entretenir sa pulsion carnassière jusqu’à la curée. Il le saisit au vol pour l’écraser entre ses mâchoires puissantes dans un lamentable couinement nasillard qui s’épuise. Puis, moi, éreinté, inerte comme un canard mort. Réduit à sa merci.
A ce moment précis, je suis à deux doigts d’abdiquer toute velléité de volonté pour retrouver cette ivresse fulgurante qui m’a proprement sidéré et me rappelle mon dépucelage au Portugal. Je suis proche de capituler pour mendier le retour de ses mains expertes qui viennent de me faire connaitre le vertige abyssal du vrai frisson, quémander encore sa bite impériale qui m’a transpercé d’un éclair de jouissance absolue, et m’installer dans une attente d’objet soumis à ses moindres désirs, pour me livrer à LUI sans condition, prêt à tout pour renouer avec l’extase qui a bouleversé mes sens.
Mais il me secoue, me met au défi, il exige de moi que je sois un « bon coup », me renvoie à MON propre désir, le MIEN, me bouscule, me maltraite même. Car si, depuis le début, les rôles sont, d’évidence, distribués, pour autant, il me veut acteur, au service des exigences de mon appétit personnel, assumant ce qui me porte vers lui.
Et je sens confusément qu’ainsi, il me protège de l’effondrement en moi-même.
Il exige, LUI, d’avoir un partenaire consistant, autonome, réactif, avec qui dialoguer.
Sinon je peux prendre la porte.
Alors, je réveille en moi une volonté farouche, un appétit insoupçonné, je m’accroche à ce qui bouillonne en moi : je le veux, LUI, planté profond en moi et je veux le sentir aller venir, jusqu’à l’acmé partagé. Et, désormais, la simple expression de ce désir singulier me constitue, en quelque sorte. Ainsi, je ne suis pas -ou plus- une pauvre victime soumise par une pulsion inavouable à la concupiscence du glaive brandi du Commandeur qui dispense le plaisir selon son bon vouloir. Je demande, je revendique, j’allume ma part de cet incendie qui, moi, me consume.
Je suis rendu à la vie !
Alors, puisqu’il m’accorde une deuxième chance, je pars à sa conquête.
Car il m’a également rendu à l’amour propre nécessaire pour relever le gant : accorder nos sens jusqu’au plaisir, retenir son attention, voire son intérêt, qu’il ne me congédie pas poliment après nos galipettes comme à la fin d’une prestation, mais qu’il m’envisage, moi, Toni, comme un partenaire digne d’un peu de considération. Il va voir, le beau cadre supérieur élégant dans son costume bien taillé, ce dont est capable le fade étudiant portugais. D’un coup, je me sens libéré de toutes mes appréhensions, blocages et autres inhibitions, je le suis dans tous les apprentissages ; il va voir de quel bois je me chauffe !
Depuis, j’ai triomphé de toutes les épreuves, je lui ai retourné toutes ses balles, depuis le fond du cours ou en montant inlassablement au filet. Rien ne m’a vraiment désarçonné, pas une fois où je n’ai fini par faire face malgré l’âpreté de certains coups et la fulgurance étourdissante de nos plaisirs. Ou est-ce à cause de cela ?
Et ce dimanche matin, je me réveille dans son lit, dont rien, depuis cette galopade à ses trousses dans la coursive de la fac, n’a pu me déloger ; or c’est LUI qui m’y a invité, puis retenu … Nous voilà pris à notre propre jeu. Réciproquement, je crois. Pourtant je reste serein, étonnamment paisible, avec le sentiment d’avoir gagné ma place.
Je sens qu’il se réveille, se rapproche …
- « bonjour Toni, as-tu bien dormi ? »
Sa main qui se pose sur mon flanc … L’attraper, l’attirer à moi en m’enroulant dans son bras.
Amical72
amical072@gmail.com
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