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6 | Schubert
En attendant Toni dans la voiture, j’écoute Adam Laloum jouer Schubert *, cette musique sensible et retenue égrenée au clavier m’apaise et me permet de faire le point. Les quelques années qui font de moi l’aîné de Toni me permettent-elles de mieux résister aux troubles provoqués par nos cascades affectives et me protègent-elles de la tentation de fuir mes émois qui me submergeraient ?
J’ai eu toute la journée pour réfléchir mais je ne suis pourtant pas vraiment résolu.
Enfermé dans cet habitacle, bercé par ces notes, je savoure le plaisir que j’ai de l’attendre où se mêlent joie et impatience. Pourtant, je sursaute quand il frappe à la vitre puis je déverrouille les portières et le regarde s’insérer dans le siège passager. J’ai laissé glisser ma main vers lui, cherchant discrètement son contact, même fugace. Il tourne alors la tête vers moi et répond brièvement à mon sourire, vaguement incertain de mes intentions. D’abord, je m’en amuse.
- « Tu ne sais pas ce que je te réserve ? … Quelque piège, peut-être ? »
Comme il déglutit en gardant ses yeux fixés sur moi, je démarre, actionne le clignotant en me concentrant avec affectation sur ma conduite. Sans le regarder, je reprends.
- « Crois-tu que j’ignore la détresse qui peut saisir chacun de nous à l’improviste, Toni ? Qu’elle ne m’a jamais glacé, moi aussi ? Quoi de mieux pour y faire face que deux bras qui entourent et qui contiennent ? Quels autres bras choisir sinon ceux de celui avec qui on traverse la nuit, hummm ?
Mais pour ces bras, y a-t-il plus attendrissant qu’être choisi pour refuge par un p’tit chat au cœur qui bat fort et qu’on tente de rassurer ? Et de ça, je te remercie, Toni. Car demain, peut-être que ce sera moi qui chercherai la chaleur dans ton étreinte … »
En lui jetant un regard rapide, je le découvre pensif. Comme il reste silencieux, je conduis sans un mot de plus jusqu’au parking souterrain de la place de l’Hôtel de Ville, puis, nous empruntons à pied les rues commerçantes du centre.
- « Souviens-toi de cette règle, Toni, nous voulions ajouter du positif à nos vies. Alors, je me suis demandé ce que je pourrais t’apporter pour t’aider à avoir plus confiance en toi. A l’occasion, je t’ai un peu observé aussi … Je t’ai vu quand tu me regardes nouer ma cravate ! J’ai donc appelé Damien qui accepte de nous ouvrir exceptionnellement sa boutique.
Plus tu ressembleras à l’idée qu’on se fait d’un ingénieur, plus facilement tu seras reconnu pour tel et tu gagneras en assurance. »
Je me penche vers lui, le nez près de son oreille, un prétexte qui me donne l’occasion de respirer son odeur, une odeur qui fait désormais partie de mon univers habituel ... et qui me plaît tant.
- « Entrons, il nous attend ! »
*Considéré comme l’un des plus grands talents de sa génération, le pianiste français Adam Laloum, né le 25 février 1987, a reçu une reconnaissance internationale en remportant en 2009 le 1er Prix du prestigieux concours Clara Haskil. En 2017, il remporte les Victoires de la Musique dans la catégorie « Instrumentiste de l’Année ». Ici, il joue en direct l’impromptu Opus 142 n°2 de Schubert (6minutes).
Amical72
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