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7 | Démiurge
Le récit de Damien
A son signal, j’ai ouvert la porte de la boutique à Adrien ; il est entré, suivi par Toni et j’ai rebaissé le rideau derrière eux. J’ai toujours plaisir à voir Adrien, c’est un beau mec, grand, athlétique, élégant ; très sociable aussi, mais avec un côté sombre qui garde à distance toute velléité de familiarité trop facile. Il m’a demandé de lui ouvrir la boutique pour quelqu’un « que je connais » Or je découvre que c’est Toni qui l’accompagne.
Toni !
Je me souviens TRÈS bien de la première fois qu’il l’a amené dans la boutique, il y a déjà un moment de cela, pour nous offrir à lui un jockstrap et à moi, lors de l’essayage, l’opportunité d’une gourmandise rapide autant que délicieuse. Le jeune homme était ensuite venu à un de ces apéritifs canailles chez Nicolas mais, étrangement, il s’était retenu de batifoler, restant sous la protection d’Adrien … qui avait fini par l’emmener avec lui.
Ainsi ce joli brunet râblé, qui maintenant me brasse chaleureusement en souriant est toujours avec lui ! Je distingue le charme de la simplicité et de la franchise dans son regard marron grillé bordé de cils noirs et denses sous ses sourcils broussailleux. Très lusitanien. C’est un joli garçon sportif et un peu rond, un ourson tendre à la fourrure légère et, au regard qu’il pose sur lui, je vois immédiatement combien Adrien est conquis.
J’en reste estomaqué car s’il y en a bien un qui me paraissait hors d’atteinte, c’est le bel Adrien, l’exquise politesse de ses remerciements désarmant ses conquêtes les plus enthousiastes et faisant la bonne fortune de ses « amis ». De plus, à sa mimique, à son soupir, puis à ce sourire qui soulève la commissure gauche de sa bouche, à la lueur qui danse dans sa pupille, je vois qu’il assume son penchant.
– « Tu te souviens de lui, Damien ! »
Ce n’est pas une question mais plutôt la réassurance de notre connivence, un appel à cette solidarité de communauté qui nous fait, parfois, nous épauler.
- « Récemment, il y a eu quelques bouleversements dans la vie de Toni, des affirmations qui s’accordent mal avec les vêtements informes dans lesquels il disparaissait commodément jusqu’alors et je me suis dit que tu pourrais l’aider à adopter une seconde peau plus en cohérence avec ce qu’il est ou devient. »
Je me retourne alors vers Toni :
- « Si j’ai bien compris, il est question que TU choisisses TES vêtements dans lesquels TU te sentiras à l’aise au quotidien. »
Pendant un instant, j’envisage Adrien des pieds à la tête, ce trentenaire bien dans sa peau, je réfléchis quelques secondes, puis je m’approche de lui et l’invite clairement du geste à rejoindre la sortie.
- « Cette mission, à supposer que je l’accepte, * consiste à aider ce jeune homme sympathique à imaginer une tenue vestimentaire plus en adéquation avec sa situation. Et je crois qu’il le fera plus … aisément, s’il n’est pas sous le regard de ton affection ! »
Mais il me déborde et se rapproche de Toni à le toucher :
- « J’attends mon nouveau p’tit chat à l’Ambassade » puis, discrètement au passage et à mon intention : « tu as carte blanche, Damien » et il sort.
Quand je me tourne vers Toni, je le vois partagé, hésitant à accepter ce « cadeau » qui lui parait, peut-être, trop beau et, pourtant, grandement tenté par cette occasion inespérée, l’œil pétillant. Achever de lever ses dernières réticences, le convaincre d’accepter mon aide n’est pas si difficile et la suite … un vrai plaisir.
Quelques revues et catalogues plus tard, je le pousse dans une cabine pour qu’il se voit tel qu’il est, en pied, de face, de profil, de trois-quarts, d’un côté et de l’autre … soulignant ses larges épaules, ses cuisses puissantes et ses fesses rebondies mais aussi le bel équilibre dynamique de sa démarche naturelle … et, également, considérant avec un sourire bienveillant sa taille replète « qui, pourtant, doit plaire à Adrien, non ? » Il rosit, bafouille, me regarde avec des yeux de biche surprise puis baisse le regard ; confus !
Mais sans cesser de sourire.
Qu’il est attachant avec cette spontanéité, cette bonne volonté qui s’en remet à mon œil professionnel. Pourtant, il est seul juge de ce qui l’habille au mieux : assis, accroupi, bras levés, se retournant … Et ainsi, il choisit sa coupe de pantalon, la mieux adaptée à son anatomie de footeux. * Il suit avec application mes indications pourtant très « manuelles » et frémit, sans se dérober, le rouge aux joues, à mes suggestions de maintien, comme un sportif rompu au contrôle de son physique. Un contrôle qui, simplement, ici, change d’objet.
Il contemple son reflet, joue de ses poses et s’en amuse en souriant. Il rayonne de jeunesse, soudain léger et insouciant.
Charmant, décidément.
Je le pelote, partout, ouvertement, avec un plaisir et une application non dissimulés qu’un moralisateur voudrait attribuer à un prédateur abusant d’une opportunité.
Mais non !
Nous partageons simplement une sensualité complice par laquelle il me fait témoin de sa propre exploration de ses potentialités corporelles. Il se révèle à lui-même devant moi. Même si je dois confesser une certaine émotion bien naturelle. Et il est protégé par l’innocence de la confiance qu’il me témoigne. Et qui me touche.
Pour lui, pour la fraîcheur de son sourire, c’est bien volontiers que je me fais démiurge. Avec ces nouveaux habits, pourtant bien ordinaires : un chino tapered et une chemise en fil-à-fil, sous mes yeux, sous mes mains de médiateur, il semble soudain se découvrir du charme et compter ses atouts.
En doutait-il, malgré le regard qu’Adrien pose sur lui ?
Pris d’une subite inspiration, je vais chercher un article dans la réserve.
- « Tiens ! Habille-toi et allons rejoindre Adrien, maintenant. »
* Un des plus célèbres gimmicks d’émission : "Votre mission, à supposer que vous l'acceptiez, consiste à... Comme toujours, si vous ou l'un de vos agents étaient capturés ou tués, le département d'Etat nierait avoir eu connaissance de vos agissements. Cette bande s'autodétruira dans cinq secondes. Bonne chance. " Bien avant les films, la série télévisée américaine « Mission : impossible ! » dont le générique débutait par une mèche qu'on allume et qui parcourt l'écran, sur l'un des thèmes musicaux phares de la télé signé Lalo Schifrin sera diffusée sur la deuxième chaine de l’ORTF dès 1967.
* Quelle coupe de pantalon convient à ma morphologie ?. Quel tissu choisir pour des chemises de saison ?
* « Ah, je ris de me voir si belle en ce miroir » l’air de Marguerite, popularisé par la Castafiore dans Tintin, est extrait de l’opéra « Faust » de Charles Gounod.
* Georges Brassens a su, lui, retrousser le jupon mité de la pauvre Hélène, / Et j'ai vu ma peine bien récompensée / Et dans le cœur de la pauvre Hélène qu'avait jamais chanté / Moi j'ai trouvé l'amour d'une reine et moi je l'ai gardé .
Amical72
amical072@gmail.com
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