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6 | Encore beaucoup à apprendre – Le récit de David.
Quelques mots de Julien.
Après ma toilette, quand je reviens dans le salon, Damien s’est enveloppé dans son peignoir et David s’est rhabillé. J’en fais autant, rapidement, et nous reprenons place autour de la table basse. David remplit nos verres du breuvage aromatique que le rafraîchissoir a gardé à température et le reste de terrine est habilement débité en fines lamelles ; nous les engloutissons comme des affamés. David saute encore une fois sur ses pieds pour aller chercher quelques tranches de pain supplémentaires pour venir à bout de la spécialité charcutière.
Après le moment échevelé que nous avons partagé, la conversation se veut d’abord courtoise car chacun est plein d’une bienveillance amusée pour les deux autres qui me ramène, du fond d’une mémoire dont je ne les rappelle que de moins en moins souvent, les vers de Paul Éluard.
« On rira d’être fraternel à tout moment / On sera bon avec les autres comme on l’est / Avec soi-même quand on s’aime d’être aimé ... »
Mais il ne peut m’échapper que Damien, traits tirés et yeux cernés, accuse une certaine fatigue. Aussi, cédant à la plus élémentaire courtoisie, je m’apprête à me retirer quand il me sollicite :
- « Aurais-tu la gentillesse de ramener David ? »
- « S’il accepte de monter dans ma guimbarde, ce sera bien volontiers. »
Lors des brassées que nous échangeons, Damien me glisse « rappelons-nous au plus vite, si tu veux bien. » puis les portières claquent. Je me tourne alors vers mon passager.
- « Où habites-tu David ? »
- « Je vis encore chez mes parents, dans les HLM. »
Le bourg a connu une activité industrielle florissante dans les années soixante, avec une main d’œuvre essentiellement féminine et de petits salaires ; une population pour laquelle un groupe d’immeubles à quatre niveaux a été construit. Aujourd’hui encore, cet ensemble est désigné comme « les HLM », appellation dédaigneuse qui, plus que tout autre chose, hiérarchise le statut des occupants ; ce collectif, pourtant équipé de chauffage central et de salles d’eau, étant regardé comme moins prestigieux que les maisons individuelles alors que celles-ci, dans la campagne du moins, bénéficiaient alors d’un confort encore extrêmement rudimentaire, voire d’aucune commodité pour la plupart.
- « Et comment connais-tu Damien ? »
David s’est rencogné dans le siège passager, les faibles lueurs du tableau de bord éclairent son visage et son regard songeur.
Le récit de David.
J'ai grandi ici. D'abord la communale puis le collège public. Ensuite, le lycée professionnel dont le choix est d'abord guidé par la proximité, des mesures d'économie, la crainte de l'inconnu, du lointain, la commodité des transports scolaires : je monte dans le car le matin, il me dépose devant chez moi le soir. Pour moi, ce sera donc les métiers de l'hôtellerie – restauration de préférence aux filières techniques.
Une vie en vase clos, un entre soi où chacun grandit en se débattant entre la norme et ses propres aspirations. Et les miennes, je le sais bien, ne coïncident pas à ce qu’on attend de moi, sans que je trouve à faire mes premières expériences, faute d’interlocuteur identifié.
Il y a bien un certain Julien Bonnet dont on souffle à couvert qu’il serait le « protégé » de monsieur Lecourt, mais c’est un autre monde que le mien, celui des propriétaires et de l’école privée, la « catho », comme on dit. Je te regarde donc passer sans savoir comment t’atteindre.
Et puis un jour que notre troupe de jeunes désœuvrés sirote une bière à la terrasse du bistrot, un grand barbu élégant passe et nous salue.
- « Qui c’est, ce mec ? »
- « Il a acheté une résidence secondaire. Sans doute un parisien ! »
- « C’est un sale pédé, oui ! Vous avez vu comme il nous mate, nous, les mecs ? Pouah ! »
Si cette phrase, prononcée avec force et acrimonie, soude le groupe de jeunes mâles boutonneux dans une expression bruyante de dégoût, moi, elle m’éclaire soudain. Oui, cet homme nous avait regardé avec attention, insistance peut-être, mais en se posant sur moi, ce regard n’avait pas provoqué le moindre rejet, il avait plutôt glissé comme une chaude caresse et ma conviction était faite : il fallait que je l’approche pour lui parler, seul à seul.
Le hasard faisant parfois bien les choses, alors que j’erre désœuvré, voilà que je tombe sur lui, à l’improviste, l’après-midi même. Je le salue et il me remet.
- « Tu étais dans le groupe devant le bar tout à l’heure, non ? »
Mais si cette rencontre inattendue et le poids de son regard qui soudain m’écrase me délestent d’une grande partie de mes moyens, ma détermination, elle, ne flanche pas ; je sais que j’ai là une opportunité d’en apprendre beaucoup sur moi et qu’elle ne se représentera pas ni aussi belle, ni de sitôt. Alors je fonce.
- « À la façon dont vous nous avez regardé tout à l’heure, mes potes ont dit que vous êtes ... »
Il n’a pas sursauté, giflé par le soupçon, révolté par l’humiliation de se découvrir suspecté de cette infamie. Non.
Il a haussé les sourcils, modulé son sourire, baissé à demi sa paupière.
- « … que je suis ! Effectivement. Mais, toi ? Qu’en dis-tu et, d’abord, quel âge as-tu ? »
Une aubaine. Je me vois sur le point d’emporter une partie déterminante avec une si étonnante facilité que j’en reste ébahi. Alors, après une déglutition difficile, je fais tapis.
- « J’ai dix-neuf ans et moi aussi, j’en suis. Enfin, je crois. »
Je sens ma lèvre trembler tandis qu’il m’enveloppe d’un regard … qui me tient chaud, terriblement chaud. Du bout des doigts, sa main s’empare de mon triceps comme des pinces qui m’attirent à lui. J’en vibre.
- « Il y a des questions dont on ne trouve la réponse qu’en essayant mais sache qu’aucun essai ne suffirait à faire de toi ce que tu n’es pas, contre ton gré. »
Il se penche alors à mon oreille et, est-ce ses doigts pétrissant mon bras, son haleine tiède dans mon cou ? soudain mon ventre se noue.
- « Sans compter qu’à tout moment, chacun de nous peut dire : stop ! »
Quand il se redresse, affable, c’est le souffle coupé que je lui souffle.
- « J’ai envie ! »
Je ne me souviens plus de rien d’autre que de ses bras autour de moi dés la porte de Saint Martin refermée derrière nous et de mon premier VRAI baiser. Pas un truc d’ados pusillanimes qui aimeraient avoir l’air d’experts, mais un franc baiser d’hommes adultes, à pleine bouche, avec duo de langues et abondance de salive. Si vital, si grisant que je grogne de dépit chaque fois que le rythme ralentit, que l’élan semble s’essouffler ... et alors nous repartons de plus belle.
Ses mains s’égarent, partout sur moi, en exploratrices ne s’infligeant pas la moindre restriction, suivies de brèves expéditions, ça et là, de sa bouche dans mon cou qui m’affolent chaque fois davantage. Au fur et à mesure qu’il m’extirpe de mes vêtements comme d’autant de vaines carapaces, que ses lèvres, sa langue viennent m’effleurer, mes propres doigts s’enhardissent, s’insinuent, soulèvent des tissus, le découvrent. Il se prête au jeu avec complaisance mais doit ôter lui-même ses dernières frusques avant de me charger, nu, sur son épaule pour me porter comme un sac et me jeter à plat dos sur son lit.
Il s’abat sur moi et je suis comme crucifié, offert sans esquive possible à son entreprise de gourmandise et je redoute soudain de jamais parvenir à rassasier cet ogre. A peine a-t-il recraché ma queue qu’il a si divinement essorée dans sa bouche que, mettant à profit le réflexe de contraction extrême de mes abdominaux en dérisoire défense, il achève d’un geste du bras de m’enrouler sur moi-même, genoux aux épaules.
Il se jette alors sur ma pastille exposée et la dévore. Il devance de la sorte, l’une après l’autre, toutes mes questions, désarme la moindre inquiétude à peine formée avant qu’elle ne se cristallise. Je ne sais qu’une chose de sa langue qui me serpille la rondelle en tous sens, la caresse, la pique, la chatouille, la ... et c’est que … c’est délicieux. Vertigineux et absolument délicieux.
Et jetant aux orties toutes mes préventions, je ne l’en embrasse que plus goulûment ensuite dans le même temps que son pouce luisant de salive me pénètre lentement à mesure qu’il permet au ressort de ma colonne de se dérouler jusqu’à m’allonger sur le dos. Je devine dans ce frétillement à l’intérieur de moi qu’il m’ouvre à un mystère encore plus grand qu’il me faudra absolument dissiper mais, déjà, sa bouche absorbe ma bite en feu tandis que ses deux mains, à plat à l’intérieur de mes cuisses les ouvrent à cent quatre-vingt degrés. Je capitule devant chacune de ses sollicitations, trop heureux de poursuivre ainsi mes découvertes.
Sa bouche, ses lèvres, sa langue, ses mains se disputent tour à tour ma bite, mon gland, mes couilles et jusqu’à ma rosette puis à nouveau, dans le désordre, cette fois. Encore. Je suis perdu, égaré dans ma propre anatomie toute chamboulée. Mes mains, elles, tentent, mollement, de me soustraire à de si sidérantes fulgurances, elles se perdent dans ses cheveux, sa barbe, accrochent le modelé d’une épaule, agrippent un flanc, autant pour le retenir que pour l’écarter. Je ne cesse de sursauter, de rugir et de miauler à la fois, implorant que cela cesse pour aussitôt supplier qu’il poursuive dans le même souffle.
Dans un élan conjoint, une agitation frénétique de son poignet et le harpon du pouce de son autre main forçant sauvagement mon trou du cul m’ont propulsé au ciel, dans une gerbe d’éclaboussures et un cri rauque.
- « Crois-tu toujours être sur le bon chemin ? »
Il s’est penché sur moi, l’œil taquin, une larme blanche et épaisse s’est égarée au coin de sa moustache. Je la cueille précipitamment de la pointe de la langue avant de l’embrasser lentement, un hommage que ma science toute neuve rend à son dévouement, puis je décolle imperceptiblement nos lèvres pour murmurer.
- « Je crois vouloir encore beaucoup apprendre avec toi. »
Amical72
amical072@gmail.com
Paul Éluard « pouvoir tout dire » extrait du recueil « digne de vivre » paru en 1944. On se reportera au court article de Christophe Dauphin paru dans la revue « les hommes sans épaules » pour découvrir l’œuvre et la vie de Paul Éluard
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