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5 | Piqué au vif
Le récit de Julien
J’ai offert l’hospitalité à Jérôme, la permission de pouvoir aller et venir, de rester quelques jours s’il le souhaite et il a accepté avec un évident soulagement. J’imagine que Les Chênaies sont pour lui une sorte de retraite où il peut se dépenser physiquement et se placer en marge de ses questionnements existentiels.
Je lui ai proposé d’occuper une des chambres libres ; il m’a d’abord regardé avec des yeux ronds de stupéfaction puis il a pouffé de rire, son bras est venu entourer mes épaules, sa tête s’est rapprochée à toucher la mienne pour me glisser.
- « Et je viendrai gratter à ta porte si j’ai envie d’un coup de queue ?
Il pouffe : « Puis, une fois la chose consommée, chacun retournera dans son pieu, comme si de rien n’était … ? »
Il se détache de moi, tête baissée, secoue vivement ses boucles indisciplinées en dénégation et poursuit d’une voix plus basse.
- « Tu apparais proche de moi, Julien, presque semblable à moi, sportif, masculin, on a quasi le même âge … une proximité, une camaraderie, tu es pour moi une possible façon d’être. »
Il relève ses yeux dans les miens.
- « Laisse-moi me familiariser avec ça, s’il te plaît, le vivre, … comme on mange, comme on respire … l’apprivoiser comme une chose de l’ordinaire, qui fait son chemin, qui trouve sa place, banale, tu me comprends ? »
J’ai simplement acquiescé d’un hochement de tête et ma maison est devenue … un camp de base. Jérôme jongle entre le roulement de son emploi du temps d’éducateur, la garde de ses enfants, et moi, je découvre qu’il est là en même temps qu’un sac de sport ouvert, ses vêtements de ville sur le canapé, un mot sur la table qui me donne rendez-vous à la rivière, son VTT renversé qui sèche sur le béton de la douche des chevaux où il a été nettoyé au jet quand lui nous cuisine une poêlée de légumes d’été complétée de pâtes, de légumes secs ou de semoule, d’une viande grillée ...
Un truc drôle, tiens. Il a bouleversé mon quotidien en révolutionnant ma vision du micro ondes à quoi ma médiocre imagination culinaire n’attribuait d’autre usage que celui de réchauffer rapidement un café.
Or voilà qu’il déballe un ustensile en plastique coloré comportant une cuve, un panier amovible perforé et un couvercle à fermeture hermétique. En quelques minutes de vrombissement, il permet d’y cuire les légumes à la vapeur, variant le temps de cuisson pour choisir qu’ils soient fondants ou encore craquants, prêts à manger ou à poêler selon les goûts ou les envies. On rince ensuite le tout en un clin d’œil, reléguant ainsi le monumental autocuiseur de maman au rayon des lourds accessoires obsolètes au fond d’un placard. Mon goût pour l’efficience s’en trouve conforté.
On a toujours à apprendre des autres.
Il fait beau, c’est l’été et la légèreté qui va avec. Chacun vaque à ses affaires et, soudain, l’un de nous fait signe à l’autre … c’est simple comme lors d'un bivouac de hussards, toujours prompts à tirer les sabres au clair et à s’embrocher derechef, pour purger cette tension qui, régulièrement, nous durcit les reins et obscurcit nos pensées.
Et avec Jérôme, c’est encore plus simple. Ça se passe invariablement dans la chambre, ce havre paisible à la lumière filtrée et, s’il s’adonne volontiers et avec entrain à toutes les pratiques, il n’aime rien tant que se prendre un bon coup de bite dans le cul, ce qui s’accorde parfaitement à ma libido. Comme je lui en fais la remarque, sur un ton de confidence grivoise, il me jauge un instant, puis sourit, énigmatique .
- « Tu pourrais être surpris, un de ces jours. »
Mais il continue de m’offrir généreusement ce merveilleux fruit charnu, rond, mousseux ; sans compter et de préférence en levrette.
Et moi, j’aime en jouer. Ses cuisses puissantes, ses deux beaux lobes musclés, le tout recouvert de ce poil doré et frisé, appellent mes mains. Elles se font légères ou lourdes, effleurent ou pétrissent, modèlent … et cette fissure qui s’écarte quand il se cambre ! Ses couilles qui ballottent en dessous, tentation de fruits mûrs prêts à cueillir, qui roulent dans ma paume. Cette trace un peu moite que je parcours de l’apex de la langue, que je détrempe de salive, son joli cercle froissé au goût musqué où je finasse jusqu’à ce qu’enfin, il m’en confie le sésame.
Puis le rituel de la capote ; indispensable car si ses premiers tests sont négatifs au grand soulagement de tous, il faut attendre le délai de six semaines pour avoir confirmation que, miraculeusement, ses errances dans le noir complet ne lui ont pas valu une contamination au VIH.
J’aime faire monter son impatience avec une noisette de lubrifiant et mes doigts agiles qui le transpercent comme des flèches ajustées, le suffoquent, le pétrifient. Jusqu’au moment où il exige.
- « Putain, mets-la moi ! »
Car de ses années de vestiaires sombres, Jérôme semble avoir gardé un goût pour l’introduction franche et vigoureuse, le coup de harpon qui le cloue au pilori, le gave d’une traite jusqu’à la garde, le suffoque. Il réclame.
Est-ce que mes mignoteries qui le font pourtant frissonner lui paraîtraient trop délicatement parfumées, mettent-elles en danger l’image qu’il a de lui-même pour qu’il y mette fin ainsi, par un retour à une virilité plus ... démonstrative? Mais, caustique, il rit de ma question.
- « Qu’est-ce que tu en penses, toi, Julien ? »
Il me dévisage silencieusement, une lueur malicieuse dans le regard puis il me donne un sec coup d’épaule qui m’ébranle. Son sourire s’élargit. Il m’interpelle d’un coup de menton volontaire.
- « L’autre jour, dans le récit que tu m’en as fait, tu n’as pas développé mais … Quand tu as croisé ton patron, la première fois, QUI a baisé l’autre, hein ? Et comment as-tu assumé, toi, d’être un mec ET pénétré ? »
- « Je ... euh ! »
Ce n’est pas d’avoir été démasqué qui me déstabilise, non, mais ainsi questionné au débotté, je ne trouve pas les mots pour répondre intelligemment, ni même comment commencer. Brouillon, je réfléchis en bafouillant et je redresse mes yeux dans les siens. J’y croise un pétillement amusé.
- « Ne t’inquiète pas, Julien, je crois qu’aujourd’hui, moi, je sais ce que j’aime. Et je t’ai remercié d’avoir été le témoin dont le regard m’a réuni : je suis un homme ET un enculé. De plus, avec toi, je m’autorise un plaisir qui m’éclate, j’apprends à jouir de tes caresses les plus attentionnées, merci encore ... »
Soudain, il roule sur le dos et, simultanément, ses mains se saisissent de ma nuque et me font sèchement basculer en avant sur lui, ses cuisses s’ouvrent, ses jambes enferment ma taille, ses pieds se nouent dans mes reins, plaquant étroitement mon pelvis sur son cul entrouvert. Sa soudaine pirouette me piège, me convoque.
- « Je reste un mec, Julien, un de ces joueurs de hand un peu bourrin qui aime aller au contact. Je recherche quand ça s’accroche, ça m’échauffe si on s’embrouille, ça m’excite dés qu’on s’empoigne rudement. Et j’encaisse ! Alors pas de quartier, mets-la moi profond, mec. »
J’avoue qu’être sommé de l’enculer comme un sapeur par ce si appétissant costaud poilu avec sa barbe de bûcheron me pique au vif, fait tomber mes dernières préventions, efface mes ultimes retenues et repousse mes limites. Foin de précautions, de délicatesse. Ma bite est chaude et prête à lui être servie. Je me place en tension, soulève mon cul pour pointer mon missile dans l’axe puis, saisissant de mes deux mains ses creux poplités, je laisse filer mon poids.
Et je l’embroche proprement.
Il a verrouillé ses yeux plissés à ne plus former qu’un trait, froncé ses sourcils, soudé ses dents sur lesquelles il écarte largement ses lèvres en rictus ... comme s’il redoutait un choc insupportable, une déchirure … Mais pour serré qu’il soit, je l’enfile sans trop de résistance.
Il a rouvert les yeux, aussi durs que si nous étions rivaux, de fines gouttes de sueur perlent à ses tempes. D’un coup de menton arrogant, il m’engage à poursuivre et j’entame aussitôt les aller-retour souplement. Il bandouille et s’astique ostensiblement d’une main rapide, l’autre pressant ses couilles, les étirant vers le haut comme pour me laisser le champ libre. Quand moi, j’entreprends une course de fond.
Progressivement, je vois l’eau claire de ses yeux se troubler. Ses paupières, comme lasses, clignent et palpitent, sa bouche entrouverte aspire plus avidement l’air, sa respiration se fait plus brève, se précipite. Ce mec aime se faire enculer, c’en est un bonheur de le regarder céder à son plaisir qui monte, puis assister à ses tentatives pour le juguler, le repousser avant qu’il ne revienne, têtu.
Il a lâché un râle sourd. Quel mec n’est pas sensible à ce qu’on prend invariablement comme un indice de plaisir, du plaisir que NOUS donnons à notre partenaire avec notre merveilleuse bite triomphante ? Alors je m’abandonne à cette douce ivresse de puissance, je SUIS ma bite, celle qui surprend, qui fourre, qui coulisse somptueusement puis force, remplit, gave. Ses petits grommellements en témoignent, je le baise proprement comme un prince et mon amour propre grimpe et se mue en euphorie. Les chairs claquent, les mains pétrissent et retiennent, les gosiers laissent échapper des grognements, on bave, on sue, on s’échine.
On a crié presqu’en même temps, nous cabrant dans un ultime sursaut, pourtant suivi d’un autre, et encore. On retombe sur le dos, côte à côte, souffles précipités qui redeviennent lentement réguliers.
- « Ça va ? »
Jérôme est alors secoué par un rire sourd.
- « Tu lâches rien, toi ! Tu veux tout savoir. »
Je me relève sur un coude pour lui adresser un regard interrogateur. Sa prunelle est malicieuse. Il se relève, s’assoit au bord du matelas, me tournant le dos. Il secoue sa chevelure en désordre dans un mouvement latéral, comme d’accablement.
- « Je suppose qu’on t’a déjà dit quelque chose comme ça … En fait, tu bouscules l’autre parce que TU veux savoir où il en est avec toi sur TON chemin et, du coup, tu mets chacun face à ses propres incertitudes, celles qui dérangent et qu’on s’efforce lâchement d’éviter. »
Il hausse une épaule, fataliste … puis il bondit sur ses pieds, retrouvant son élan. Sans se retourner, il a écarté un bras à l’horizontale, ses doigts frétillent et m’invitent. Je le rejoins et il entoure mes épaules.
- « Allez, mon frère, à la toilette. »
Nous faisons quelques pas quand il s’immobilise les yeux fixés au sol.
- « Tu as raison d’interroger. A être ainsi convoqué, je n’ai pu que faire le ménage dans ma vie, la débarrasser de ses faux semblants pour tenter de découvrir qui je suis, révéler ce qui m’importe vraiment, faire certains deuils également et ça, c’est plus difficile … mais je suis aujourd’hui un convalescent plus léger. »
Poser des questions aussi intimes, au risque de compromettre l’affection que me témoigne Jérôme, n’est pas innocent. J’y devine un ressort constant dans ma vie, celui de me confronter à ceux dont les difficultés à être vont jusqu’à dépasser mon cas personnel, le transcendent, l’incluent par leur diversité parmi les milliards de tesselles qui composent la mosaïque du vaste monde auquel je n’ai de cesse de démontrer que je lui appartiens.
Tendre la main pour les aider à surmonter toutes les injustices des discriminations console mes tourments d’enfant différent et terrifié de se voir aussi isolé, me ramène à n’être qu’une des possibilités parmi tous les destins participant de l’universalité, me ramène dans le jeu et fait donc de moi une partie du grand tout.
M’apporte également un soulagement qui, peu à peu, je l’espère, m’apaisera.
Amical72
amical072@gmail.com
*Cuire ses légumes au micro-ondes en quelques minutes, une astuce de chef
*Au dieu d'Amour une pucelle / Offrit un jour une chandelle, / Pour en obtenir un amant. / Le dieu sourit de sa demande / Et lui dit: Belle en attendant / Servez-vous toujours de l'offrande. Une des chansons gaillardes composées par Francis Poulenc : l’offrande .
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