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9 | Ours gris
Le récit de Julien
Sous la douche, je l’ai frictionné dans les moindres recoins, chatouillé, caressé avec toute la bienveillance espiègle dont je suis capable, jusqu’au frisson, jusqu’au retour de ce petit rire insouciant, de cet éclair pétillant dans ses yeux de jeune homme à qui s’offre la vie. Puis nous sommes allés en salle vidéo. Je me suis assis sur le plus haut gradin pour avoir la cloison en appui derrière moi et Cyrille s’est allongé sur le côté, la joue posée sur ma cuisse.
L’écran diffuse un film gay avec des molosses bodybuildés, tatoués de haut en bas comme des immeubles de New York, l’un est percé, l’autre a le torse poilu et tondu. Ils s’empoignent, se brassent, se secouent comme des pruniers, s’affrontent avec l’air renfrogné de rigueur. Un troisième à peau claire, imberbe et châtain presque blond fait son entrée, Cyrille me le désigne.
- « Tu crois que c’est lui, celui de tout à l’heure ? »
Il n’y a qu’une lointaine ressemblance avec le mec que Cyrille vient de croiser mais celui-ci sert de défouloir aux deux autres qui se le partagent en sandwich sans plus de cérémonie.
Un homme vient s’asseoir sur le gradin inférieur au nôtre, un solide daddy trapu et poilu qui ressemble à ces députés socialistes élus en 1981, ces solides instituteurs laïques aux cheveux drus coupés court, grisonnants ; barbe et moustache taillées en cercle autour de la bouche dont la voix tonnait à la tribune de l’assemblée, intraitable sur les principes …
A l’écran, toujours cette baise rageuse, comme si les actifs cherchaient à atteindre aux limites d’un passif qui grimace sous leurs coups de rein ; toujours ces bites démesurées aux fourrures rases pour les magnifier, ces corps travaillés, maquillés, presque monstrueux …
Cyrille gigote et se recale.
Le mec lisse s’est fait renverser et les deux dominants s’allongent en pachas, le convoquant, lui qui hésite entre leurs deux énormes bites dressées. Un léger balancement me fait jeter un coup d’œil sur le côté. Cyrille a avancé son bassin au bord du gradin et vient sporadiquement le frotter contre les larges épaules de l’ours gris qui les recule autant que faire se peut et se dévisse la nuque, espérant du moindre contact que le mouvement autorise, cherchant à n’en perdre aucun.
Devant la persistance de l’oscillation, jugeant qu’elle ne saurait être fortuite et partant, qu’elle l’autorise, l’ours gris a soudain pivoté, soulevé la serviette de sa main qui est restée suspendue un instant avant de vivement empoigner la jolie tige décalottée découverte. Il l’a précipitamment embouchée, avec quelques sursauts d’échassier orientant le poisson sitôt pêché, l’a l’avalée en fond de gorge. Cyrille s’est immobilisé, soudain tendu puis il laisse filer l’air jusqu’à une profonde exhalaison de bien-être et s’alanguit. Ma main se pose souplement sur son épaule pour … ? Le stabiliser, le rassurer, l’autoriser ?
Le daddy est maintenant agenouillé sur son gradin, sa chevelure poivre et sel oscillant entre les cuisses du berger qui soupire d’aise. Il me donne à voir son large dos griffé de poils sombres, moussant sur ses épaules qui roulent quand il tend le cou pour engloutir la jeune tige. J’imagine sa barbe rêche caresser le joli ventre glabre à chaque passage. Une de ses grandes mains aux phalanges striées de poils noirs, aux ongles taillés avec soin, enveloppe le torse, étire le téton, creuse le ventre quand l’autre soulève la cuisse à l’équerre.
La tête s’est écartée et, en un éclair, Cyrille a été rabattu vrillé, aplati sur le ventre. Les deux mains velues écrasent ses fesses et le mufle du vieux sanglier laboure sa raie à rebours en ronflant de gourmandise. Mon joli compagnon suffoque et geint sous l’attaque.
Puis il est promptement rétabli dans sa position préalable, la bouche affamée revient cueillir sa tige et je comprends à son sursaut qu’un doigt l’a percé et lui masse activement la prostate. La pompe se déchaîne, mécanique et terriblement efficace. Cyrille se contorsionne, résiste, cherche de l’air, bouche grande ouverte.
Il s’est brutalement détendu comme un ressort, sa jambe a fouetté l’air et il s’est abandonné. Ma main a pesé sur la tête grise quelques secondes puis je l’ai retirée. Il s’est retourné et m’a interrogé d’un regard franc, sa main glissant déjà sur ma cuisse mais je l’ai arrêtée en souriant.
- « Un autre jour ... »
Il émane de cet homme mûr une fière masculinité à laquelle j’aurais sans doute pu répondre si j’avais été seul mais déjà, Cyrille, joyeux, lui donne une rapide accolade.
- « Merci Daddy. »
Indécis, il nous regarde l’un puis l’autre mais n’obtenant aucun encouragement supplémentaire de notre part, il nous salue d’un signe de tête avant de s’éloigner, très droit et digne.
Cyrille s’est blotti dans mon cou et me souffle à l’oreille.
- « J’ai honte ! »
Je ris.
- « Pourtant tu as eu l’air de trouver très agréable la séquence entre ses grosses paluches expérimentées ET ... respectueuses. Quant à lui, je parie qu’il n’en revient pas de sa chance d’avoir pompé au jus un si joli jeune homme. Mais tu aurais peut-être voulu le prendre ? »
Je sens que des barrières tombent malgré ses borborygmes de protestation véhémentes.
- « Mais enfin, Julien, il est … aussi vieux que mon père et il porte une alliance ! »
J’ai un petit rire moqueur et lui claque affectueusement la fesse. Il me sourit, d’un air absent faussement naïf me signifiant son refus de pousser la discussion plus avant. J’obtempère.
- « Viens, tu vas faire un brin de toilette et nous verrons si un partenaire mieux accordé est disponible. »
Amical72
amical072@gmail.com
* « Marquise, si mon visage/ a quelques traits un peu vieux,/ souvenez-vous qu’à mon âge/ vous ne vaudrez guère mieux./ Le temps aux plus belles choses/ se plaît à faire un affront/ il saura faner vos roses/ comme il a ridé mon front. » Stance de Corneille et conclusion de Tristan Bernard, Georges Brassens met en musique Marquise
* « et gloire à don Juan d'avoir osé trousser / celle dont le jupon restait toujours baissé ! / cette fille est trop vilaine, il me la faut. » Georges salue la liberté de don Juan
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