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Chapitre 4 | Désarroi
Le récit de Julien
Arnaud se réveille en sursaut, s’agite, désordonné, dans le lit.
- « qu’est-ce que ?... Je … »
Il s’écarte brusquement et s’assoit, sidéré. Le visage encore enfoui dans les draps, je n’ai ouvert qu’un œil et lance un bras vers lui :
- « viens là ! »
Mais il dévie ma main et reste assis à distance, le souffle court, hagard.
- « Toi, tu n’as probablement jamais couché avec un mec dans un lit puis sombré dans un somme réparateur à la suite… »
Je soulève ma tête en appui sur ma main droite quand ma gauche moule le rond de son genou, remonte en découvrant sa cuisse que je caresse.
- « Personne ne peut te voir en ce moment et personne ne viendra te chasser d’ici, ni t’insulter, Arnaud ! Reviens t’allonger contre moi, s’il te plait »
Mais il reste figé.
- « tu vois, c’est comme si nous étions le quatorze juillet : un jour férié ! Hier tu es allé au bal des pompiers et un grand poilu t’a taillé une pipe avant de t’entrainer dans son lit pour un gros câlin, t’en souviens-tu ? »
Je bascule sur le dos exhibant mon érection qui soulève la toile et, de nouveau, je l’invite :
- « allonge-toi contre moi, Arnaud, ça t’aidera à réfléchir à tout ça ! »
Enfin, il consent à se couler entre les draps, mais reste raide comme un piquet, allongé sur le dos, les yeux figés au plafond. Je me suis approché de lui, respectant cependant une distance, puisqu’il l’a établie. Sans me regarder, il ajoute :
- « Je ne me reconnais plus, ça me fait peur ! »
- « Et tu n’as qu’une envie, prendre tes jambes à ton cou, vite, pour t’enfuir loin ? »
Il se tait quelques secondes, puis il fait voler le drap dont il s’était recouvert. Sa bite se dresse, rose, décalottée, arrogante, larmoyante.
- « évidemment, pour courir vite, c’est encombrant ! De plus, il faudrait vérifier quelque chose auparavant. »
En rampant sur mes coudes, je me penche sur son visage que je domine. Il a baissé les paupières et sa respiration est courte, sa bouche entrouverte. Lentement, j’approche mes lèvres des siennes, à les frôler. Je m’en rapproche encore à les presser, puis j’y risque la pointe de ma langue humide. Maintenant elle frétille, en les écartant … Je pousse mon avantage souplement puis j’engage un retrait qui n’entraine aucune réaction de sa part. Je retente alors l’aventure et, cette fois, je vais chercher sa langue, l’agace et, lentement, elle s’anime et se noue à la mienne.
Ça reste timide, mais c’est un début. Encourageant.
- « Troublant, hein ? Et maintenant, songes-tu à résister ou, plutôt, à regarder ton désir en face, en pleine lumière, Arnaud ? »
Coude levé au plafond, je balance ma main comme un pendule et la pointe de mes doigts vient effleurer sa peau, son téton, sa touffe de feu, le galbe de sa cuisse … Puis c’est toute ma main qui vient mouler ses formes en les explorant.
Mais j’évite toujours sa queue bandée. Alors il la saisit à pleine main et se masturbe très lentement tandis que je le caresse. Il est craquant ainsi, concentré sur ses sensations, vibrant d’un érotisme hésitant, s’aventurant. Je fais rouler ses muscles sous ma paume et couche ses prairies de fines herbes folles, des chaumes de fin d’été, déjà décolorés mais conservant des reflets flamboyants.
Il lâche sa queue qui vient claquer sur ses abdos et il la recouvre de sa main posée à plat puis il tourne la tête vers moi et ouvre lentement ses yeux. Le bleu y semble formé d’une infimité de cristaux d’une banquise fractionnée, prêts à fondre. Tout comme moi au-dedans, devant son désarroi, si palpable, si … touchant.
Car c’est bien cela ! Je ne peux le regarder sans que me reviennent mes propres émois, mes propres déchirements, d’il y a … si longtemps ! Mais, après tout, j’ai moi aussi des choses à reconstruire. Je détache mes yeux des siens, me décalant pour ne pas le garder sous une quelconque emprise et lui laisser toute liberté pour répondre.
- « y a-t-il, dans ce qui vient de se passer, une seule chose que tu rejettes, ou une répulsion viscérale, qui t’oblige à fuir ?
- « non ! »
La voix est sourde mais le ton est assuré et ne laisse planer aucun doute. Il a conservé en lui quelques braises d’énergie vitale qui ne demandent qu’à repartir …
Et ça me booste ! Rien de tel que de regarder autour de soi, de tendre la main et saisir celle qui nous est tendue pour retrouver ce plaisir, immense, de faire ensemble, de partager.
Non, « la nuit n’est jamais complète* »
Cependant, il reste là, à mes côtés, sans oser bouger ; trop malmené et, certainement, envahi par le doute, vacillant, brimé par des interdits qui lui reviennent, comme un miraculé qui n’ose plus s’aventurer seul. Je me dois d’intervenir, de le sortir de cette paralysie.
- « Sais-tu, Arnaud, on a tellement intégré notre différence comme une exception que l’on n’imagine pas que d’autres, autour, peuvent être comme nous ! Moi-même, je n’ai pas soupçonné une seconde que tu pouvais me ressembler … avant que tu ne te déclares ! Si ça te rassure, rien dans ton comportement ne « trahit » ton orientation, tu ne cèdes à aucune caricature qui voudrait que « ça se voit », tu es toi-même, tout simplement.
Et je suis très … heureux … de cette découverte ! Tu m’as réveillé, Arnaud et, à cinquante ans, il était temps ! »
Il doit y avoir une flamme joyeuse qui danse dans ma prunelle car un timide sourire s’esquisse sur ses lèvres et je m’incline lentement vers lui … C’est lui qui, d’une rapide détente, monte m’embrasser brièvement puis retombe.
- « Tss ! »
Il pouffe et revient à ma rencontre, prudemment, avec retenue ; et la pointe de sa langue franchit la barrière de ce qui était, assurément, inimaginable il y a peu encore, pour venir, hésitante, à la rencontre de la mienne.
Et moi ! Moi ? Cette incroyable audace, cette naïve et intrépide simplicité me ramènent avec tendresse à mes premiers éblouissements et à leur séisme émotionnel.
Putain que ça secoue ce premier contact fugitif, le cérémonial de cette première ambassade sur le territoire de l’autre où l’on épie, dans l’attention plus aiguisée, ce que chacun de nos gestes ou de nos retenues va provoquer.
Ouf ! Pour l’instant, tout semble s’accorder …
J’ai posé délicatement ma grosse paluche sur la rondeur de son épaule.
- « Et si on profitait de ce quatorze juillet auto décrété pour passer cette belle journée ensemble à faire quelque chose de gratuit ? … Je propose de t’emmener dans un coin du domaine où tu n’es sans doute jamais allé. »
Je vois qu’il est partant : je viens de lui offrir une échappatoire familière : on va bosser ensemble, et ça, il connait ! Plutôt bien, même.
*« Et un sourire » le poème de Paul Eluard, essentiel, est, ici, dit par Serge Reggiani.
Amical72
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