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8 | Officielle
Le récit d’Adrien
Je regarde l’heure, encore un quart avant la pause. Ou alors ...
Ou alors je saute dans le tram et je rejoins Toni. Je sais qu’il doit bosser à la bibliothèque ce matin. L’entrée surplombe la salle de lecture de quelques marches et je les aperçois de dos, Thomas et lui, côte à côte, penchés sur leurs écrans ; l’un grand, dégingandé et blond roux, l’autre plus petit et trapu, très brun. Ils ont en commun ces chevelures rebelles qui débordent chez les jeunes gens. Concentrés, ils se penchent tour à tour l’un vers l’autre, comparent, murmurent, se replongent dans leur travail respectif.
Je vois Toni se lever et se diriger vers une porte. Je le suis et le rejoins en poussant brutalement la porte des toilettes. Saisissant sa brève expression de surprise, je m’approche de son urinoir. D’une main, je le tiens par la nuque et lui vole un baiser, de l’autre, je m’empare de sa queue en pleine miction avec le plaisir de la sentir se tendre, malgré le flux.
Le premier réflexe de Toni est de me mettre en garde.
- « Attention, je vais te salir ! »
Mais je ne bouge pas et devant mon regard fixe et mon sourire ironique, il bafouille et réalise la situation. Puis il se recompose un visage outré.
- « Vous agressez sexuellement les étudiants dans les toilettes, M’sieur » mais j’astique à trois reprises son manche, maintenant bandé, avec énergie.
- « Ne serait-ce pas plutôt toi qui fais des propositions lubriques à ton tuteur en entreprise ? »
On se sourit, complices.
- « Que fais-tu là ? »
- « J’avais envie de te toucher la queue avant d’aller déjeuner avec toi »
Il bredouille, embarrassé. Je le coupe :
- « Tu invites Thomas, bien sûr »
Mais le mouvement de ses yeux, ces petits coups d’œil rapides qui s’échappent puis reviennent, trahit son trouble. Et chaque fois, je revois l’étudiant qui m’a couru après dans la coursive de la fac pour me demander « je peux aller avec vous, M’sieur » avec ce même clignotement mal assuré… Toutefois, je sais parfaitement que ce signe ne doit pas m’abuser : Toni n’est pas un de ces indécis permanents, un de ces velléitaires inconstants à qui on ne saurait se fier.
- « Qu’y a-t-il Toni ? Un obstacle ou un scrupule ? »
Comme il ne répond pas, j’opte pour la seconde proposition que je balaie en lui prenant le coude pour l’entraîner.
- « Sortons ! Sinon, il va penser que tu me montres tes fesses dans les toilettes ».
Thomas est totalement absorbé par son travail et ne lève pas la tête. Il me faut le saluer aussi fort que le permet le lieu pour qu’il se redresse, grand escogriffe un peu voûté, tout confus et empêtré par ses membres de Marsupilami.
- « Ah ! Bonjour M’sieur, excusez-moi, je ne vous avais pas reconnu ».
D’un geste vif, il replace ses lunettes d’un doigt. La lumière fait ressortir le cuivre dans ses cheveux et sa barbe de trois jours, le tout en désordre. Un sourire incertain lui confère le charme d’un jeune homme habitant encore son corps avec maladresse. Ses sourcils froncés sur ses yeux d’un bleu délavé indiquent que ses pensées ne se laissent pas distraire totalement de son travail, malgré mon irruption. Mon insistance courtoise les convainc de se mettre en pause et d’accepter mon offre.
Nos échanges sur le chemin de la brasserie me laissent à comprendre que, tout comme Toni, Thomas est de milieu modeste et gère un budget serré, alors je m’efforce de rendre mon invitation plus acceptable en la dégageant de toute idée de dette en retour. Je lui dis mon plaisir à surprendre Toni pour ces petits moments qui échappent à la routine et aussi celui de connaître ses amis.
Avec son premier élan spontané « oui, viens avec nous, s’il te plaît », Toni abonde dans mon sens mais, perfide, il ajoute « on ne peut pas priver ces messieurs du plaisir de nous faire de petits cadeaux en retour » et je vois Thomas s’empourprer et baisser le nez, tandis que je m’immobilise.
Toni garde les yeux baissés et se place entre nous ;
- « Pardon, je ne sais plus où me foutre. »
Je pousse un soupir ironique.
- « Moi, j’ai plusieurs réponses à te proposer et elles pourraient même te donner du plaisir mais, pour le moment, Thomas et moi allons déjeuner. Tu viens toujours avec nous ? »
Mon sourire ironique semble le rassurer à demi. Mais, de ce moment, les deux garçons se réfugient dans un échange sur leurs projets professionnels dont, moi, je ne suis qu’observateur.
J’ai vu Toni dans de nombreuses situations, en joueur de foot comme en fêtard déchaîné et alcoolisé, en fils préféré comme en auditeur attentif.
Je ne lui ai encore jamais vu ce front plissé de concentration, cet air aiguisé et tendu et pourtant, même ainsi, il me reste étrangement familier, comme s’il appartenait maintenant à mon univers quotidien. De temps à autre, il me décoche un coup d’œil rapide et je lis dans ses yeux qu’il garde un fonds de confusion lié à sa récente maladresse.
Alors je fais une recherche simple et lui envoie ce lien : www.service-public.fr/particuliers/vosdroits/F1618.
Vibration, il saisit son portable, tapote l’écran avec dextérité, garde les doigts relevés, prêts à frapper puis tourne brusquement la tête vers moi, les yeux ronds.
- « Tu rêves, comment penses-tu que je peux annoncer ça à mon père ? » et m’arrache un sourire :
- « ça, ce n’est qu’une question de stratégie, Toni. On en reparle »
Je lui envoie un bisou et je vais régler. Puis je retourne bosser avec le sentiment d’avoir enfin répondu à une question qui trottait dans un coin de ma tête depuis un moment en posant un mot, un acte sur ce qui est déjà une réalité qui ne demande qu’à être nommée et établie officiellement pour exister : Toni EST mon amoureux.
Amical72
amical072@gmail.com
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