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6 | Une belle vie
Le récit de Julien
Après m’avoir ainsi indiqué qu’il aimerait remettre le couvert avec moi, Cyrille s’étire puis se tourne vers moi pour se blottir, sa bouche revenant à mon oreille.
- « L’autre jour dans le magasin, j’allais rejoindre des copains quand je t’ai aperçu.
Le BEAU Julien Bonnet ! ai-je aussitôt pensé.
Des années que je te regarde : grand, belle gueule et larges épaules, le torse moulé dans tes éternels polos d’où dépassent tes longs bras velus et, toujours, tu souris ou tu chantonnes en passant, bien droit, de ce pas élastique, suspendu qui te confère cet air d’être d’ailleurs, un peu en marge, qui te place hors de leur portée et les fait tant enrager, mon père en tête.
Tout le monde te dit gay ! Moi, je te trouve juste beau mec.
Interdit, inaccessible et donc, terriblement motivant pour mes branlettes.
Or quand nous nous sommes croisés à la boutique, tu M’as regardé, tu M’as souri et, brusquement, j’ai pensé « Je veux que ce soit lui ! Aujourd’hui ! Je vais me le faire! »
C’était soudain, un peu fou, diablement culotté et un bouillonnement très … intériorisé. J’ai simplement marché, calmement, sur la route des Chênaies et attendu que ta voiture arrive. La suite, tu la connais, Julien. »
- « En quelque sorte, c’est moi qui suis victime de ta lubricité ! »
Nous avons pouffé, complices de cette parfaite illustration de mauvaise foi et de ces imputations extérieures, par quoi celui qui les émet se décharge de toute responsabilité.
Mais c’est une litote, en fait. Et il l’a entendu ainsi, qui se serre plus étroitement contre moi, s’étire à mes côtés, beau jeune homme qui se déniaise … Il passe sa main sur son torse puis sur le mien, tourne la tête d’un côté de l’autre.
- « Comme tu es poilu, Julien ! Moi je suis lisse avec quelques poils clairsemés, ridicules ...
- « Tu es jeune, Cyrille ! Ma pilosité ne s’est vraiment développée qu’à ton âge mais velu ou glabre, tu trouveras des personnes pour t’aimer tel que tu es ! »
Il enroule mes poils autour de ses doigts, joueur et câlin. Ses yeux qui vont et viennent me montrent qu’il a quelque chose à dire, alors je l’encourage d’un « Oui ? »
Mais ses yeux se sont portés sur l’affichage digital de mon réveil et il bondit.
- « Zut ! J’ai promis à ma mère de l’aider au magasin. »
« Zut ! » ...
Peut-être que si je l’encule encore deux ou trois fois un peu sérieusement, ce jeune homme si bien élevé parviendra-t-il à dire « crotte » ou autre « sapristi » … A sacrer pour de vrai, comme un homme quoi !
Non ! En vrai, il m’amuse. Il est comme ces poulains dont on perçoit déjà la puissance mais qui, au moindre danger et dés leur premier signal, reviennent derechef s’abriter derrière le flanc de leur mère.
Je l’ai fermement retenu par le poignet d’une main de fer.
- « Auparavant, tu devrais prendre une douche. Nos mères ont un instinct infaillible pour détecter, chez leur petit, le plus léger signe de cette émancipation qu’elles redoutent tant. »
Il a bredouillé puis s’est rangé à mon conseil puis s’est éclipsé précipitamment, me laissant seul avec moi-même.
Moi, qu’il a appelé « le beau Julien Bonnet ! » ! J’en souris ! Mais ma main caresse avec une satisfaction certaine mon torse et mes abdominaux dont j’éprouve la solidité. Une toison les a recouverts au fur et à mesure que je construisais ma vie d’homme, ici, où j’ai su gagner la confiance de Lecourt.
Ce n’est pas de l’orgueil, non, mais une fierté, assurément. J’ai un métier et une vie que j’aime, dans lesquels je m’accomplis et c’est sans doute cela qui me place « hors de portée » des croquants. Je suis « dans la force de l’âge » et me sens en pleine possession de mes moyens.
Adulte, en quelque sorte.
J’ai entouré à deux doigts la base ma queue à nouveau dressée et je l’agite en l’air en tous sens. Ma belle et fidèle bite de pédé ! Si jamais il lui en prend l’envie, je saurai lui faire goûter encore quelques spécialités bien senties, à ce jeune homme que j’ai grand plaisir à déniaiser un peu rudement. Il me plaît de le voir résister à mes assauts et, maintenant, y répondre avec … entrain.
Mais pour l’instant, j’ai, moi, dédaigné la douche pour conserver les effluves de nos ébats et j’ai sellé un cheval. J’ai envie de sentir vivre ce corps marqué de foutre qui est le mien. Je sais qu’il est loin d’être celui d’un apollon, je le sais très bien. Plutôt qu’à lui, je pense que c’est à ma vie ici, que j’ai visiblement réussi à rendre « belle », que je dois que certains me disent « beau ».
Je sais aussi que ce sont mes imperfections mêmes qui retiennent l’attention et cristallisent la tendresse qu’on me porte. Quoi de plus touchant que ces légères disgrâces qui me font singulier aux yeux de celles et ceux - surtout « ceux », dans mon cas - qui m’aiment ?
Alors j’ai poussé le grand alezan dans un galop cadencé sur les chemins qui m’ont mené au méandre des moines et là, j’ai plongé dans l’eau toujours un peu fraîche pour nager, longtemps.
Mais rien n’y fait ! Rien ne dissipe cette tension dans mes reins.
Une pulsion de vie.
Ô la belle vie
Amical72
amical072@gmail.com
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