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Saison 5 | Chapitre 9 | L'heure du choix
Claude m'interroge pour savoir si je suis déjà « allé avec une fille », si j'ai « essayé », comme on dit.
« - Mais que crois-tu, Claude ? Impossible d'y échapper : dans un village comme le mien, entre le groupe des copains et des filles qui nous guettent lors des petits bals du samedi soir ou de la fête patronale. J'ai eu mon premier rapport assez tôt, dans une voiture complaisamment mise à disposition pour mon dépucelage avec une fille plus âgée, mise au pari de me déniaiser et qui, avec un peu d'alcool, a relevé le défi.
Je me souviens de gros baisers mouillés un peu mis en scène et applaudis par l'assistance, de mes doigts sur ses nichons. La suite ? Pas très glorieuse, avec une érection pas très convaincante, mon pantalon aux genoux et elle, sa jupe relevée, sur la banquette arrière. On a baisé sans capote comme si dans « première fois » il n'y a que « première » qui compte et que ça nous protège du reste. Vite fait et, franchement, rien de vraiment enivrant : on ne savait pas faire grand-chose. Moi, les potes m'ont congratulé : je n'étais plus puceau. Elle tout aussi fière « de l'avoir fait » Je ne l'ai plus revue, je ne me rappelle qu'un prénom…
Il rit : « moi aussi j'ai croisé une fille complaisante pour ma première fois. Mais une fois dépucelé, on regarde les filles autrement, non ? »
« - Bien sûr. C'était un vrai enjeu pour moi qui voulais me prouver que ... J'ai rencontré Brigitte, une fille à la beauté discrète avec un joli sourire, la tête sur les épaules et qui me regardait dans les yeux. On l'a fait, plusieurs fois. Et c'était chouette. J'adorait caresser ses seins doux, élastiques… Fascinant. »
- « Et alors, tu vois ? »
« - Je vois même très bien : j'en étais capable, comme un vrai mec ! Je pouvais même y trouver du plaisir et en donner. Mais … Il y a un « mais » que je ne pouvais pas ne pas voir : à peine rhabillé et soit disant comblé mais dopé à la testostérone, je me surprenais à mater le cul des garçons comme des objets sexuels. Et j'ai réalisé que cette relation ne changeait rien à mon désir profond, je désirais d'abord les garçons ou je préférais les garçons, comme tu veux.
Alors, quand elle a évoqué l'avenir, le mariage et des enfants, je me suis dit que je ne pourrais jamais assumer, ce sentiment de la trahir et, ensuite, me regarder dans le miroir. J'avais de l'estime pour elle, tu comprends. Alors, j'ai rompu, sur un prétexte stupide. Pas très glorieux. »
Puis je m'enfonce dans mes pensées et je cesse de parler. Claude n'ajoute rien. Il est absorbé par sa réflexion, comme s'il venait de consulter une documentation et réfléchissait sans doute à sa propre situation. Mais on arrive aux Chênaies et nous sommes happés par les rangements, les explications et discussions techniques lors d'une rapide visite en attendant l'arrivée du camion. On aide à descendre les animaux avant de retrouver Monique dans sa cuisine, jamais aussi heureuse que lorsqu'elle peut combler de solides appétits.
Puis nous repartons en camion. Claude est assis au milieu dans la cabine. Il appuie ses deux pieds au tableau de bord, indifférent à l'air désapprobateur du patron, croise ses deux bras sur ses genoux et y appuie son torse. Son corps est ainsi légèrement avancé et il parle en regardant la route devant nous :
- « Je suis de la campagne, moi, alors je me croyais seul au monde de cette sorte. A part quelques branlettes partagées dans les sanitaires du dortoir au lycée, je n'ai eu que des propositions sordides que j'ai déclinées parce qu'elles me paraissaient humiliantes. Avec vous … bon, aujourd'hui, j'ai un peu mal au cul. Putain, les hommes, j'ai eu la totale, avec plusieurs services ! Sympa ! bon rodage ! » Il tourne la tête alternativement vers nous et sa face est fendue d'un large sourire qui croise les nôtres. A ma stupéfaction, le patron, sans quitter la route des yeux, prend la parole :
- « le cul, c'est comme la bouffe, c'est d'abord un besoin, une pulsion. Ensuite, dans notre ignorance, on peut en faire un défoulement, un pêché, une corvée, un devoir ou bien une rencontre dans le plaisir mutuel. Demande à ton voisin de droite, le grand gourmand qui nous a inspiré toutes ces bêtises… et il a une pommade miracle qui est bonne pour tout. » Et il tend le bras pour que, sous une légère pression de sa main, Claude retire ses chaussures crottées de leur appui. Claude, qui a compris, époussète avec un soin ironique les traces de terre et poursuit :
- « En tous cas, j'ai vu de beaux attelages, une sacrée expérience à laquelle je suis fier que vous m'ayez associé, les hommes. J'espère avoir été à la hauteur de cette formation » Il est tourné vers le patron, dans l'attente d'une réponse. Celui-ci a un petit hoquet de rire :
- « t'es un bon gars, c'est sûr ! » L'éclat de rire est collectif et flotte jusqu'à notre arrivée. Et c'est joyeusement que nous nous mettons au travail pour embarquer les derniers chevaux et le matériel. Le patron nous « accorde » une après-midi bien méritée, repart au volant alors que, demain, nous reprenons les cours. La foule déambule dans les allées de l'exposition et nous nous mêlons à elle quelques minutes. Puis nous échangeons quelques coups d'œil rapides, de petits signes de tête, des grimaces de sauvages excédés par le bruit, des sourires entendus avant de claquer nos mains en signe d'affaire conclue : le bâtiment de l'internat doit être quasi désert et nous avons soudain une furieuse envie partagée de rejoindre nos chambres.
Amical72
amical072@gmail.com
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