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10 | Disposer de lui – Le récit de Lecourt.
La porte du bureau s'ouvre à la volée :
-" Julien !"
Un évident soulagement perce dans le ton de cette voix que je reconnais aussitôt.
-"Désolé, Julien a dû s'absenter."
Je fais pivoter le fauteuil du bureau où, en l'absence de Julien, je jetais un oeil sur les comptes d'exploitation. Même s'il a mon absolue confiance et est désormais le seul maître à bord aux Chênaies, je souhaite garder un contact suivi avec la réalité du terrain, indispensable à mes yeux de représentant consulaire.
Celui qui est face à moi, ouvre de grands yeux, pétrifié et démuni.
-" Mais moi, je suis là !"
Pourtant, malgré mon interpellation et mon sourire avenant, il ne semble pas revenir à lui et reste planté là, bouche entrouverte. Et, comme la première fois où, poussant la porte de chez Julien chez qui je m'étais arrêté à l'improviste, il m'avait interpelé d'un "Bonsoir! Moi, c'est Jérôme" frontal et lumineux, j'ai la même impression de coup de poing à l'estomac en le découvrant, statufié cette fois, mais transpirant toujours de l'urgence, de l'impatience de vivre et, à la fois, d'une fragilité de novice hésitant qui me transporte et me donne envie de le prendre dans mes bras.
Il m'observe, me détaille sans pourtant paraître me reconnaitre, coupé net dans son élan puis, d'un coup, il s'agite, tout en désordre, essuie les paumes de ses mains sur ses cuisses comme s'il les asséchait avant de reprendre un outil en mains et de frapper de toutes ses forces.
Attendrissant de désarroi.
Alors, avant que, gagné par la panique, il ne fasse demi-tour et ne s'enfuie, sourd à lui-même, je me lève, posément, du fauteuil. Je me redresse, ma main épouse la forme de son triceps, juste au-dessus du coude pour l'attirer à moi, soudain si proche de lui que nos chaleurs corporelles se fondent en s'écrasant l'une sur l'autre, que nos peaux se mettent à vibrer de cette proximité, que s'établit une attraction électrique entre nous.
Comme la première fois.
Je SAIS que c'est justement son énergie, difficilement canalisée, toujours sur le point d'exploser, qui rayonne et me contamine, elle qui réveille en moi une fringance de jeune homme que je pensais éteinte, un appétit urgent qui me tend à nouveau le ventre comme un arc prêt à décocher sa flèche, que c'est bien elle la cause de cette pulsion qui me suffoque, déterminée mais maîtrisée à quoi je vais pourtant céder. Très consciemment.
Alors je me penche à l'oreille du costaud et je crois percevoir les battements de son coeur affolé de faon nouveau-né que sa mère a abandonné un instant.
-" Julien place toujours un nécessaire dans la pharmacie des écuries en cas d'urgence , va le chercher et retrouve-moi sous le hangar."
Il tourne les talons et sort du bureau. Je m'interdis de réfléchir plus avant, au risque que la raison l'emporte sur l'illusion de ce printemps qui reverdit soudain en moi.
Et pourquoi non, après tout, puisque je bande ? Je me rassemble autour de cette seule pensée, de ce désir qui, j'en suis certain, va advenir : encadrer fermement son beau cul de mes deux mains et l'entendre, lui, soupirer tandis que je l'encule souplement.
Quand il me rejoint dans l'antique C15 que je ne peux me résoudre à envoyer à la casse, je reprends le fil d'un rêve que je ne veux pas dissiper où le présent se mêle à des souvenirs d'un instant similaire et déterminant qui a fait de moi ce que je suis aujourd'hui, cet extraordinaire basculement qui m'a dessiné un autre destin que celui à quoi j'étais promis, cette révélation que je rejoue ici, sans jamais m'en lasser. Comme pour me convaincre de sa réalité. Ou tenter de retrouver le séisme vertigineux de ce moment.
Aussi, l'ai-je emmené à la grangette.
En cette saison, elle est remplie de fourrage jusqu'à l'ouverture béante mais, derrière chacun des vieux vantaux de bois rabattus, un volume reste libre parce qu'inaccessible, une niche. Je m'y faufile et il m'y rejoint.
Eblouis par ce violent contraste entre la pleine lumière de l'esplanade et la pénombre du réduit, nous tâtonnons quelque peu pour accorder nos gestes mais si je le galoche maladroitement, lui vise très précisément ma braguette et sa main moule ma bite tendue : tacitement, un accord est trouvé, un contrat conclu et les rôles respectifs distribués.
Il se précipite et, immédiatement, je le tempère.
C'est à Julien que je dois tout de mon aisance en la matière, Julien dont l'impatience d'hier ne rend rien à celle de Jérôme aujourd'hui mais la sienne me gagnait alors sans partage ; Julien à qui j'ai appris la dégustation, celle des mets et des vins et qui, en retour, par l'évidence de son plaisir sans nuage a débridé le mien, l'a progressivement délivré de tout jugement moral.
Alors avec Jérôme qu'il a amené aux Chênaies et qui, depuis, semble y revenir en disciple chercher son content de frissons, je ne fais que prolonger cet apprentissage, cette écoute de l'autre qui nous réunit, Julien et moi, au travers d'une transmission.
Mais je dois reconnaitre que ce solide garçon a quelque chose qui m'excite particulièrement. Ce n'est pas si fréquent. Outre sa carrure et sa fougue qui me porte ; il y a ... ce contraste entre ses fins cheveux frisés, sa barbe drue et ce poil mousseux mais rêche qui le recouvre ; il y a également son empressement, de celui qui s'est longtemps ignoré et bridé et qui, depuis, court après le temps perdu, dans l'espoir fou de le rattraper, disponible à tout ce qui pourra le suffoquer.
Il sied à mon âge de disposer de lui par d'habiles manoeuvres d'homme d'expérience, d'opposer à ses transports fougueux des caresses dilatoires qui l'égarent dans des vertiges inattendus, ou l'éblouissent de sa propre puissance quand, à son tour, il me procure un étourdissement des sens qui me foudroie.
Mais je sais aussi troubler ses perceptions, l'assaillir de caresses fulgurantes comme des éclairs, le suffoquer jusqu'à ce qu'il tombe chaud et palpitant dans mon escarcelle, s'empressant de me capoter avec vénération alors qu'il ne fait que m'épargner une manoeuvre qui reste laborieuse pour moi ; faisant don de lui, s'offrant avec pourtant le sentiment paradoxal que je lui concède une faveur, cul délicieux autant que vorace, dont l'extrême réactivité me leurre sur ma puissance retrouvée, illusions en miroir qui nous conduisent ensemble à un plaisir exacerbé qui ensuite reflue, l'abandonnant comme un noyé entre mes bras.
Mais je n'en ai pas fini avec lui. Je le sais, quelque chose en moi réclame.
Amical72
amical072@gmail.com
« et voilà le miracle en somme / c’est lorsque sa chanson est bonne / car c’est pour la joie qu’elle lui donne / qu’il chante la terre » Gérard Manset chante "il voyage en solitaire"
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