Premier épisode | Épisode précédent
7 | Fermer les yeux – Le récit de Julien.
Je me réveille en sursaut, assis dans mon lit, entortillé dans mes draps, la langue sèche, la peau moite. Je suis fébrile et je sais que c'est cette fièvre qui m'a soudain tiré du sommeil dans une suffocation.
Je bande comme un faune.
Mon appétit, comme chaque fois qu'il n'est pas totalement rassasié, me revient, me suffoque. Mes paupières se referment et mes pensées renouent immédiatement avec des sensations, physiques, celles de peaux qui glissent l'une sur l'autre, le halètement de souffles courts soudain suspendus, les étreintes de membres emmêlés, de poils hérissés qui, d'abord, s'accrochent puis cèdent en s'effleurant, de bouches assoiffées qui se cherchent, de langues qui se nouent, enfin, comme on se désaltère à un fil d'eau fraîche dans la touffeur de l'été.
L'autre, bien sûr, c'est Damien ... et ce n'est pas lui ! Ce n'est pas son amicale présence déjà familière et apprivoisée, ni vraiment sa personne qui m'interpelle mais plutôt un puissant sentiment de frustration, celle d'une "conversation" engagée mais trop tôt interrompue avec des questions qui demeurent en suspens et, donc, reparaissent, là, encore plus exigeantes.
Machinalement, ma main va et vient le long de ma queue chauffée au rouge, dans de doux frôlements qui électrisent mon érection mais ne parviennent pas à dissiper ma tension, cet étau qui me serre la gorge, ce glaçon qui m'interdit de déglutir. Je reconnais cet état de confusion où les images érotiques se bousculent derrière mes paupières sitôt que je les ferme, les frissons putatifs courent malgré moi sous ma peau, l'énergie s'accumule et bloque mon rein guignant l'opportunité de la détente féroce d'un lanceur de harpon.
Alors je me résigne, je ne retrouverai pas le sommeil. Sans allumer de lumière pour me garder dans cette douce pénombre peuplée de fantômes, je vais chercher mon écran et du papier absorbant puis je reviens m'allonger.
J'ai un rapport "distant" à la pornographie ; les corps, qu'ils soient fluets pour entretenir l'ambiguité entre les sexes ou cultivés comme du bétail à l'engrais en arborant tatouages et piercings en stigmates d'une virilité dont ils ne suffisent pas à me convaincre, pas plus que les images complaisantes de pénétration, aussi bien buccale qu'anale, évidemment placées en signal d'une domination impitoyable ne m'accrochent pas même une seconde.
Non, ce que je guette, ce sont ces "trop" rares vidéos avec de fugaces moments de séduction entre des hommes "ordinaires", des hasards même prévisibles et mis en scène, des rencontres, des jeux de regards charmeurs, ces sourires d'invitation puis l'élan des empoignades, des corps qui se pressent dans l'impatience ...
Bon, évidemment la fin est toujours la même, plus ou moins rapide, mais on n'est pas tenu de se précipiter sur le premier produit proposé en tête de gondole, conditionné en barquette, viande de dinde garantie hormonée et d'origine indéterminée, étiquette tapageuse, slogan racoleur et prix bradé ; la toile recèle aussi ses dissidents du porno qu'il faut traquer, de petites lueurs alternatives et évocatrices qui savent pimenter la litanie "tu me suces, je te bouffe le fion, je t'encule" avec de plus inventives variations.
Telle cette vidéo montrant un grand garçon endormi que son amant vient retrouver dans la pénombre de sa chambre, à pas de loup ; il le tire lentement du sommeil avec mille caresses et autant de baisers, nous faisant découvrir petit à petit ce mystérieux Ganymède qui geint d'extase. Il nous le dévoile avec une gourmandise que nous partageons, imaginant ses alanguissements, ses moiteurs, ses toisons, ses effluves, ses soupirs, ... Il livre à l'objectif voyeur, comme à son insu, quelques images furtives de sa propre anatomie, des perspectives volées sur son intimité.
Et si la magie était dans la lenteur ?
Dans les coulisses plutôt que sur un plateau trop éclairé?
Bien sûr, celà vaut pour moi parce que, jeune, j'ai eu la chance de rencontrer un loup, lequel m'a initié avec patience, mesure et respect ; pour moi qui, au fil du temps et de mes rencontres, me suis construit une "culture" celle d'une sexualité positive, épanouissante, une bibliothèque des transports et des émois qui alimente mon imagination et, en même temps qu'une connaissance éclairée de mon corps et de son fonctionnement, une carte du tendre.
Mais j'extrapole aisément, imaginant les ravages que peut causer une certaine pornographie, grossière, chez celles et ceux, jeunes sans aucune expérience qui n'ont que cette source pour "s'informer"et "se former", école et famille ne délivrant en la matière qu'un message biologique exclusivement centré sur la reproduction et d'autres, alarmistes, concernant la prophylaxie et la contraception.
Le sexe diabolisé !
Mais qui a entendu parler de caresses, de plaisir, des mécanismes de l'érection chez l'homme et de comment la soutenir ? Du clitoris et des zones érogènes du sexe féminin?
Bien sûr, rien non plus sur les relations affectives, les jeux de rôle mutuellement adoptés ni sur les pratiques consenties qui en découlent.
Car dans les scènes que nous propose la plupart des vidéos pornos gays, en observant les grimaces des uns et à entendre leurs cris de douleur, à assister aux intromissions vigoureuses et expéditives des autres, comment ne pas construire une représentation terrifiante d'une sodomie qui serait d'abord un forcement, un déchirement -validant implicitement, hélas, ce jugement méprisant de "crime contre nature", de perversion qu'agitent les forces réactionnaires et moralisatrices- Probablement, pour certains esprits démunis, c'est la seule façon de faire ...
Je ris. L'évidente ferveur avec laquelle certains s'adonnent pourtant à cette pratique qui serait réputée être la source d'aussi atroces souffrances interroge, non? Alors il doit y avoir un loup.
Ces vidéos, qui semblent ne s'adresser qu'à la plus rudimentaire et archaïque partie de nos cerveaux, nous réduisent à des êtres naïfs et crédules et, finalement, nous abaissent ; or avec un rien d'affirmation de soi "ça, ce n'est pas moi", un zeste d'émancipation de la norme "je choisis de ne faire que ce dont j'ai envie", un soupçon d'empathie "l'autre, ça pourrait être moi aussi, est-ce que j'aimerais?", une pincée d'humilité "je ne suis pas tenu d'accomplir une performance homologuée" nous pouvons détendre la situation, accéder simplement à un dialogue avec son partenaire et tout devient tellement plus fluide !
Pourtant ces caricatures tellement grotesques sont parfois les uniques références sur lesquelles des jeunes gens construisent leur sexualité.
Or moi, je les connais ces réveils coquins, le plaisir de passer du mol engourdissement à la plus délicieuse volupté en se laissant guider jusqu'au plaisir ou, à rebours, celui d'être le pygmalion qui mène la barque sans en indiquer par avance le cheminement ...
Je me laisse emporter au fil de tout ce que ces images évoquent pour moi.
Quand elles se font trop précises à l'écran, je ferme les yeux et mes oreilles. Mes mains savent débusquer les sentiers discrets sur ma peau, mes doigts enserrer cette tige dressée et tendue, leur pulpe flatter le poli de mon gland, répandre la goutte visqueuse qui y perle pour le lustrer, faire lentement vibrer la corde du frein, souligner d'un effleurement le bourrelet de mon gland ...
Ils connaissent mille sortilèges qui serrent mon ventre, tendent mon rein, font courir des frissons en tous sens sur ma peau hérissée, battre la chamade à mon coeur, bloquent ma respiration puis ils recommencent jusqu'à l'explosion qui me libère.
Intantanément, je sombre dans le sommeil et retrouve les bras du beau Morphée qui m'entraîne au pays des songes.
Amical72
amical072@gmail.com
« Ne dites pas trop de mal de la masturbation, après tout, c’est une manière de faire l’amour avec quelqu’un qu’on aime bien. » nous suggère Woody Allen.
Sur le site sérieux doctissimo, découvrez le b-a-ba du mécanisme de l'érection masculine
Autres histoires de l'auteur :