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10 | Échapper à son emprise
Le récit de Mehdi
Mehdi m'a accompagné au méandre des moines, nous nous sommes baignés, puis frictionnés mutuellement et enfin étendus au soleil. Mais quand il a amorcé une caresse, j'ai fermement remis sa main en place, je détesterais être surpris et amené à interrompre nos ébats.
- "Mais ce n'est que partie remise! Alors profite Mehdi! Du soleil, de ce calme champêtre, du mouvement des feuilles qui jouent de l'ombre et de la lumière, de cet instant de repos absolu ... Sois patient, et, en attendant le moment, le lieu opportuns, emplis-toi de ces douces sensations comme autant de promesses, laisse ton appétit se creuser, montre-toi un peu à moi ...
Tiens, et si tu me disais quelque chose de toi dont je ne sais presque rien ..."
Mais la confession que j'allais alors recueillir s'avèrera bien plus intime que ce que ma seule curiosité lui réclamait presque par courtoisie.
- "Je l'ai rencontré dans un bar quand j'étais encore au lycée. Il avait "repéré mon air perdu", m'a-t-il dit. C'est vrai que j'étais mal dans mes baskets, je luttais contre des penchants que je voulais absolument pas reconnaître, je me montrais sombre, irritable et agressif, j'étais toujours dans des embrouilles. Je pensais ainsi donner le change. Ma mère était un peu en galère, pas trop disponible, alors elle était contente que je m'apaise, que je sorte prendre l'air.
Il s'est montré attentionné, généreux même et, petit à petit, il a fait sauter mes préventions, l'une après l'autre. Je me dégoûtais toujours mais, à la condition de ne rien montrer et, surtout, de ne pas en parler, j'y prenais goût. C'était si discret et si facile, il me suffisait de garder les yeux clos.
Il m'a emmené dans des soirées, avec des mecs de son âge accompagnés d'autres, plus proches du mien. Il y avait autant d'alcool qu'on pouvait rêver et aussi des choses moins autorisées. Ça décoince. Et c'était chaud dans les coins.
Entre deux portes et entre deux whiskies, j'ai commencé à céder à des avances. D'abord me laisser tripoter, puis une pipe, puis un peu plus, ... l'engrennage, quoi. Lors d'une de ces fiestas, il nous a surpris et j'ai cru disparaître tant j'avais honte de le trahir si grossièrement mais il a juste souri et s'est débraguetté en invitant ses potes à se régaler.
Ce jour-là, toutes mes barrières ont cédé, j'ai dit oui à toutes les demandes, j'ai été partagé, on m'a maté, filmé mais, quand on est rentrés, c'est chez lui qu'il m'a ramené. On s'est douchés ensemble, il a été tendre et il a voulu que je reste dormir. J'étais tellement paumé que j'ai vraiment cru qu'il tenait à moi, que c'était moi qui avais failli et qu'il avait la grandeur d'âme de bien vouloir me pardonner.
J'étais maintenant entré dans le monde du travail et je trouvais à m'employer facilement. Il m'a proposé de faire des extras au noir, c'est lui qui encaissait pour le chantier et ce qu'il me rétrocédait était bien chiche mais je voulais le convaincre que je n'étais pas ingrat, que je ferais tout mon possible pour lui rendre service.
Et puis il y a eu cette autre soirée. Un mec est venu s'asseoir lourdement à côté de nous et a directement mis la main sur ma cuisse pour me caresser, je l'ai d'abord repoussé discrètement mais il a insisté alors j'ai été plus clair. Il a ri, a sorti son portable et m'a montré des photos. De moi ! J'ai instantanément été paralysé. Il m'a attrapé par la nuque et m'a roulé un patin, puis, satisfait de ma docilité, il lui a dit qu'il m'empruntait et lui, il a simplement hoché la tête. Une fois dans la chambre, le mec a été cash : "je sais pas si tu sautes ton mec, peut-être, mais avec moi, c'est toi la femelle soumise."
J'aurais pu résister, j'étais sans aucun doute au moins aussi costaud que lui mais j'étais comme brisé. Il a pris tout ce qu'il voulait, comme il le voulait, il s'est goinfré. Il a aussi photographié et filmé, jusqu'en très gros plan, je crois. Il répétait que j'étais une bonne petite pute de beurette et qu'il avait des potes avec qui il serait ravi de m'éclater la chatte. Il se comportait en pacha, me crachait au visage, me rabaissait sous son pied que je devait lécher, exigeait que je le suce à genoux ou que je l'implore de me bourrer encore le cul pendant qu'il me bifflait de sa queue baveuse avant de me fourrer à la hussarde.
Mais j'en avais déjà vu d'autres, je n'étais plus à ça près.
Puis mon mec est venu nous rejoindre, il m'a sucé pendant que l'autre me baisait. Et, pour mon plus grand dégoût, ainsi partagé entre eux deux, j'ai joui comme un fou. Ensuite, mon mec m'a serré dans ses bras et, encore une fois, il a voulu que je dorme avec lui. Je lui ai demandé qu'il ne m'emmène plus dans ce genre de soirée et il a promis, mais je n'ai pas vraiment été convaincu, je crois qu'il me disait juste ce que je voulais entendre.
Au matin, il m'a sucé et j'ai aussitôt bandé comme un cerf. Il a ri et s'est jeté sur moi. Il m'a taillé une pipe de dingue avant de m'offrir son cul. Je crois que j'avais une revanche à prendre. Plus je le baisais comme un queutard, plus il m'encourageait. Et plus il me félicitait d'être un vrai mec, plus je le bourrais, jusqu'à lui remplir bouche et cul, me détestant pourtant d'être aussi veule, d'obéir à de telles injonctions qui faisaient lachement de moi un monstre identique à celui dont j'avais été victime la veille.
Ensuite, il m'a couvert de baisers, s'est montré très câlin, a trouvé des excuses à nos faiblesses respectives, me répétant qu'il n'aimait que moi depuis toutes ces années mais qu'il ne voulait pas que ça se sache pour ne pas me nuire, à moi qui débute dans la vie et qui ...
Dernièrement, il a acheté une nouvelle maison. Il m'a demandé de refaire le chauffage puisque c'est ma partie. J'ai parcouru des kilomètres au volant d'une vieille guimbarde au freinage incertain, attelée d'une remorque lestée de tuyaux et de radiateurs en fonte. Je me suis épuisé à les charrier sans broncher, je les ai installés, raccordés ... seul. Encore une fois, je voulais lui montrer mes compétences, mon dévouement, faire mes preuves peut-être ... Il est venu inspecter mon travail terminé sans m'adresser un seul compliment qui me paraisse vraiment sincère, vraiment personnel, sans un geste affectueux ni même un peu d'attention pour moi. Alors j'ai voulu l'embrasser, mais il s'est reculé avec une grimace écoeurée. Il m'a dit d'aller d'abord me laver et me changer afin d'être présentable avant de sortir avec lui et ses amis.
"Ses amis !"
Ces mots ont sonné comme une alerte. Quand j'ai protesté que j'étais fourbu, il a ricané : puisque j'étais triste comme un bonnet de nuit, je pouvais aussi bien rentrer, il s'amuserait sans moi. Alors j'ai serré les dents et je suis reparti, immédiatement, j'ai fait toute la route à l'envers. Sale, crevé mais décidé à mettre fin à ce déchirement.
Je me suis dépouillé de tout ce qui lui aurait permis de me localiser et j'ai disparu, je ne voulais pas qu'il me retrouve. J'ai un métier, l'intérim me permet de bien gagner ma vie, je veux échapper à son emprise, il se jouait de moi, m'utilisait sans vergogne, empoisonnait ma vie. Je ne veux plus. Même le déchirement qu'on découvre que je suis pédé me parait moins redoutable.
Et puis là, au sauna, je vous aperçois, toi et ce jeune si joyeux. Tu as l'air de l'accompagner ou de le piloter ou ... je ne saisis pas et ça m'intrigue. Tu comprends que je me sente interpelé?
Puis je vous perds de vue jusqu'à ce vous reveniez au bar. Quand il a échangé sa serviette trempée pour une sèche, cherchant le soutien de ton regard pour parvenir à le faire en public, il a rougi mais il était fier de cette victoire sur lui-même, de son geste d'affirmation et toi, tu le regardais ... avec un air plus paternel que possessif. Je t'ai trouvé beau mec et j'étais ... jaloux, je crois. J'aurais fait n'importe quoi pour retenir ton attention, pour que tu me regardes comme ça.
La suite, tu la connais!"
- "Mais la suite, justement, Mehdi ..."
Il a haussé les épaules.
- "Crois-tu que je ne sais pas où sont mes clés et mes papiers? Pourtant, je suis encore là. Alors profite Julien! Du soleil, de ce calme ... Sois patient ..."
Il roule sur le ventre, se soulève sur ses bras pliés au coude, me surplombant. J'ouvre un oeil en décalant un peu l'avant bras qui me protège des rayons solaires. Il sourit, canaille. Je n'en demande pas plus.
Rien ne nous prépare à être gay. Quel parent éduquera son fils en entrouvrant cette porte : "il se pourrait que tu sois gay, mon fils! Que tu préfères te faire enculer plutôt que de nous donner les petits enfants que nous espérons pour nous prolonger ..."
Or cette découverte nous foudroie, nous prend de court, désarmés, démunis, sans référence et, de plus, incertains de nous-mêmes mais doutant tout autant, après ce dévoilement, de la permanence de l'amour de nos propres parents pourtant sensés nous protéger.
Pourquoi certains d'entre nous surmontent-ils l'épreuve et se réconcilient-ils avec eux-mêmes, même affligés de familles hostiles, quand d'autres se confinent dans la honte et le déni qui les dédoublent, concrétisant dans leurs pratiques le dégoût qu'elles leur inspirent d'eux-mêmes?
Amical72
amical072@gmail.com
* "j'avoue j'en ai bavé pas vous, mon amour, avant d'avoir vent de vous, mon amour" Juliette Gréco chante La Javanaise
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