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Chapitre 3 | Un stagiaire déconcertant
Le récit de Julien
C’est en refermant la porte de ma chambre, lorsqu’un rayon de lumière s’est réduit en faisceau, balayant la pièce, animant les ombres, qu’il m’est revenu en mémoire.
J’avais gardé de bons contacts avec le lycée agricole – c’est d’ailleurs toujours le cas - et, l’exploitation n’en étant pas trop éloignée, j’accueillais régulièrement des groupes venus en visite avec différents objectifs. Ce matin-là, c’était … il y a deux ans maintenant, j’attendais un groupe mixte d’une bonne douzaine de futurs « jeunes agriculteurs* ».
Je l’ai tout de suite remarqué. Sa stature d’abord, dès qu’on dépasse le mètre quatre-vingts, on est grand ; sa carrure de rugbyman ensuite et puis, cette position, un peu en retrait, comme s’il voulait observer sans être lui-même exposé. Pourtant, il ne fuit pas le regard et, lors de ma présentation, nos yeux se sont croisés à plusieurs reprises sans qu’il se dérobe. Je lui donne vingt-sept / vingt-huit ans ; il a le cheveu châtain clair un peu ébouriffé, une barbe bien fournie, l’œil plutôt clair – je dirais vert – le regard franc et une allure de mec bien dans ses baskets.
- « Monsieur … »
- « … »
Il a une voix grave bien timbrée ; je me retourne.
- « Est-ce que vous pensez accueillir un stagiaire, s’il vous plait ?
- « Non ! »
Ma réponse a claqué avant même que j’en aie eu conscience. Je ne sais pas vraiment à quoi ce garçon pensait exactement en s’exprimant de la sorte, ni si j’ai l’esprit particulièrement mal tourné mais j’ai bien déchiffré ce qu’il a clairement dit. Aussi, dans cet entre-deux sans témoin, je rectifie sans plus réfléchir :
- « Mais je pourrais prendre un stagiaire, … s’il me plait. »
Et je tourne aussitôt les talons, revenant vers le groupe qui nous a un peu distancés, l’abandonnant bouche bée, sans doute pétrifié par sa maladresse … et, probablement par le direct de ma proposition !
Il a maintenant rejoint la petite troupe et suit les échanges de questions et mes réponses. Son regard se pose alors sur moi, sans dévier, mais il reste de marbre.
J’aime terminer ces visites rencontres dans la convivialité, avec un casse-croute, un verre qui autorise chacun à parler de soi, de son projet personnel. Je le vois revenir vers moi, du pas chaloupé de celui qui a tourné sa langue sept fois dans sa bouche. Il a le regard fixé sur son verre vide qu’il fait rouler entre ses doigts.
- « J’ai réfléchi à vos conditions et ça me va … » Il relève les yeux qu’il plonge dans les miens : « si je vous conviens, bien entendu ! »
Son visage reste impassible, ses yeux sont bien verts et ils ne cillent pas alors qu’il me fait cette proposition incroyable qui emporte mon respect. A-t-il seulement bien compris ? La rumeur l’a probablement informé que je suis gay … Nos yeux restent accrochés un instant qui me parait durer … Mais non, il ne se dédit pas. J’opine alors sobrement du chef et l’affaire est faite. Je lui tends une main largement ouverte qu’il saisit pour une poignée franche et virile.
Je ne peux m’empêcher de laisser trainer un peu mes doigts pour prolonger l’instant d’un fugace contact plus sensuel, une « indication » nette, bien que discrète. Là encore, il ne se rétracte pas. Il confirme d’un « à bientôt alors » avec un grand sourire de jeune homme aux belles dents blanches et régulières. Je le regarde s’éloigner pour rejoindre les véhicules, détaillant à loisir ses épaules, son dos, tentant de deviner son cul dans son jean informe lorsqu’avant de disparaitre, il se retourne vers moi, faisant éclater un magnifique sourire en découvrant que je suis resté à l’observer. Il lève la main et me fait un signe de la main largement ouverte ; est-ce du lard ou du cochon ?
J’avoue qu’à ce moment, ma curiosité est piquée au vif, je suis indécis et très curieux de connaitre la suite de cet arrangement inhabituel.
Quelques semaines plus tard, j’attends son arrivée. Il gare sa voiture, en sort et jette un regard circulaire puis s’avance vers moi avec un de ses grands sourires et la main tendue.
- « Quelle chance de vivre dans ce bel endroit, bien entretenu ! »
- « c’est là où je passe le plus clair de mon temps alors je veille à conserver un cadre de vie de qualité. »
Je me tourne vers lui qui balaye toujours les alentours du regard. Ainsi le voilà, ce Benjamin, dont j’ai découvert, en signant la convention, qu’il a trente et un ans. Un grand et beau mec qui ne s’est pas effarouché de ma proposition pourtant directe et je suis impatient de tirer les choses au clair avec lui.
*Sur les aides à l’installation des jeunes
Amical72
amical072@gmail.com
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