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Chapitre 9 | Trousseau
Comment peut-on laisser un enfant dormir seul, affronter seul le noir sans fond de la nuit ?
Petit garçon, je ne m’endormais qu’après que ma mère ait déposé un baiser sur mon front, bordé mon lit, souhaité bonne nuit. La tranquillité pouvait alors me gagner quand je la savais toute proche, prête à me rejoindre si je criais, emporté par quelque démon nocturne.
Et là, je me réveille le front contre le dos d’Adrien et mon bras sur lui. Et je sais que c’est sa présence qui m’a fait traverser le désert de la nuit en toute quiétude. Il se rabat sur le dos, et je suis tout contre lui, ma main part en crabe explorer la broussaille sur son torse, nos jambes s’entremêlent. Ce matin, c’est le calme de sa présence qui m’importe, son odeur, les moiteurs de la nuit, laisser glisser ma peau contre la sienne.
Il s’impatiente, je le sens, quand je tente de le retenir. Il est déjà réveillé et prêt à s’activer. Alors il me câline, me caresse tout en me secouant, me poussant hors du lit. Je tends la main vers sa queue dressée, ultime tentative mais, baste, il n’est pas disponible pour les fredaines. Même la douche n’est qu’hygiénique. Dommage !
Et là, ma mère appelle.
A cette heure ?
Que se passe-t-il ?
Elle voulait me dire bonjour, me demande si j’ai bien dormi, si j’ai gouté son ragoût et si j’ai bien emporté mon jean noir qu’elle ne retrouve pas, insiste…
- « maman, je ne suis pas dans ma chambre »
Je sais que désormais elle ne va plus me lâcher jusqu’à savoir. D’ailleurs, c’est sans doute pour cela qu’elle appelle ce matin : pour savoir ! Depuis dimanche, sa question restée sans réponse doit lui trotter en tête…
- « mais qui est cet Adrien ? »
Et voilà ! Je la connais ma mère : elle veut SAVOIR ce qui arrive à son fils, quitte à en pleurer ensuite, quand elle aura raccroché… Alors je cède et lui dis. Tout ! Est-ce bien moi qui ai dit « mon amoureux » ? Aie, aie, aie… Mais non ! Elle NOUS embrasse, me dit « à dimanche » et me souhaite une bonne journée à moi, son fils chéri.
Et LUI, face à moi, a-t-il bien entendu ? J’attends la sentence de sa réaction et j’enfouis la tête dans mon bol comme on te protège d’un casque.
Mais ses doigts se posent délicatement sur mon bras puis il se lève. Il revient avec une boite et sort un trousseau de clés qu’il fait tinter. Il me demande si je souhaite prendre mes petits déjeuners avec lui, ainsi que mes diners ? Mais moi, je sais ce que je veux : c’est traverser le grand désert de la nuit à ses côtés pour me réveiller avec lui avant de me lancer dans la lumière du jour. Je veux qu’on baise, qu’on rie ensemble, qu’on bouffe la vie puis qu’on se prenne dans nos bras pour glisser de concert dans le sommeil.
Il me dit que ce n’est pas si simple ? Mais cette chanson, je la connais ! Il vient me chercher mais dès que j’approche, il recule… Pourtant, il me dit « bien sûr, on déjeune chez ta mère dimanche » comme une évidence puis il dépose le trousseau dans ma main et part s’habiller. Et moi, j’ai ce métal brûlant dans ma paume. Je le contemple puis l’escamote dans une poche, au profond, pour qu’il soit inaccessible, qu’il ne puisse pas le reprendre. Puis, vite, je m’active : ranger, nettoyer, comme si de rien n’était.
Le revoilà, habillé, lissé, souriant : je retrouve l’intervenant brillant face à nous, pauvres étudiants crottés ! Il noue sa cravate et je lui confesse mon admiration de balourd pour cette élégance naturelle. Et, bien sûr, il sourit, affable, en me disant que, pour moi aussi, ça va venir.
Qu’il me semble lointain alors.
Pourtant, il a cette lueur douce et complice dans les yeux quand il me pique d’un baiser. Sa lèvre s’imprime fugacement sur les miennes et y laisse comme une empreinte.
Une fois qu’il est sorti, je m’enferme à double tour et parcourt l’appartement, le nez en l’air, à l’affut de sa présence, de son odeur qui y flottent encore, avec le talisman de ses clés au fond de ma poche. Puis j’explore un peu la cuisine : placards, frigo, comme à la recherche de quelque idée avant d’aller retrouver mon emploi du temps d’étudiant.
Dans le tram, je fredonne.
Fin de la saison 3
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