Longtemps aux femmes, j'ai consacré une grande partie de mon temps. La beauté et la sensualité de certains hommes ne me laissaient certes pas indifférent, mais Mère Nature m'avait si généreusement équipé que j'étais bien davantage préoccupé par l'acte de contempler ma propre personne que par celui d'accorder une quelconque attention à un mec.
Amateur averti de la Grèce antique, je prenais un réel plaisir esthétique à visiter certains musées où s'alignaient des statues de guerriers casqués et d'athlètes laurés.
Les éphèbes ne m'intéressaient que modérément. Le corps d'un jeune homme qui émerge à peine de l'adolescence n'était pas mon idéal. Sur les plages, mes yeux s'attardaient surtout sur les hommes trentenaires et les jeunes quadragénaires qui prennent soin de leur corps et qui sont à l'apothéose de leur virilité.
Bien entendu, mes observations n'étaient que d'ordre esthétique et comparatif. Il me plaisait de constater que je sortais majoritairement vainqueur de ces comparaisons guère impartiales.
De plus, mes multiples compagnes confirmaient toujours mon verdict : J'étais le plus fort, j'étais le plus beau.
Ces garces n'avaient pas tort. En effet, qui pouvait être à la fois si grand, si svelte, si souple avec une telle musculature si bien définie ? Qui pouvait avoir ce port de tête digne d'un roi barbare et cette élastique démarche de fauve chasseur ?
À l'époque, je n'avais que 31 ans.
Et pourtant, tout cela, Abel l'était. Tout cela, Abel l'avait.
Avez-vous déjà rencontré un homme qui n'est pas particulièrement beau, mais qui est bien pire que beau ? Avez-vous déjà affronté un monstre de séduction ?
Abel ? Quelle idée loufoque que d'affubler son gosse d'un prénom pareil ! D'autant plus que les défunts parents d'Abel étaient des bigots forcenés et qu'ils connaissaient probablement la fin de cette chaotique histoire biblique. Allez savoir ?
Quand j'y pense encore aujourd'hui, j'ai le trouble sentiment qu'Abel a toujours été à la recherche de son Caïn. La première fois que j'ai rencontré ce jeune homme, c'était chez moi.
Mon adorable et très chiante épouse Sylvie (je m'en suis débarrassé depuis lors) délaissant un moment sa compulsive manie de claquer mon fric en bijoux, fringues et sacs à main, avait entrepris de faire agrandir notre spacieuse villa qui domine les flots bleus de la Méditerranée.
Qu'importe puisque je disposais d'une fortune qui me permettait ces quelques fantaisies...
Mes parents, personnages très rigoristes et fort peu aimants, avaient eu l'excellente idée de rouler beaucoup trop vite sur une corniche vertigineuse.
Donc, tout en déplorant amèrement la perte d'une superbe Ferrari 812 Superfast, je me retrouvais - à l'âge de 27 ans - l'unique héritier d'un patrimoine dont mes comptables ne pouvaient évaluer avec précision le nombre de filiales et de leurs complexes ramifications.
Mais revenons à notre sujet. Je disais donc que mon épouse, cette belle emmerdeuse, avait organisé une réunion de chantier afin de choisir le carrelage des salles de bains alors même que les fondations étaient à peine creusées et coulées. Avec son goût de chiotte, je craignais le pire et je ne fus pas déçu. Elle exigeait ma présence ! L'entrepreneur en maçonnerie, quant à lui, s'était sagement défilé, mais avait délégué Abel, son chef de chantier.
À l'apparition d'Abel, il ne se passa rien, rien du tout. Bien qu'il soit grand, svelte avec de larges épaules, je ne trouvais rien de particulier à ce garçon d'une trentaine d'années avec sa chemise couverte de poussière de ciment. Il me tardait alors de rejoindre ma maîtresse du jour. Une admirable flûtiste thaïlandaise qui me faisait invariablement grimper aux rideaux. Affalé sur un divan et aucunement intéressé par les projets pharaoniques de Sylvie, je portais mon regard sur le profil du chef de chantier qui l'écoutait courtoisement.
Il n'était pas particulièrement beau, comme je l'étais, mais il émanait de ce visage osseux une volonté farouche atténuée d'une sorte de tendresse.
Son nez était droit avec des narines mouvantes et ses longs cils chargés de poussières scintillaient dans un rayon de soleil malicieux.
- N'est ce pas un bon choix que je viens de faire, mon amôuuur ?!
M'interpela ma blonde épouse en brandissant un hideux échantillon qui avait l'aspect d'un vomi d'ivrogne qui vient de bouffer une salade niçoise.
Fallait vraiment être diplômé en goût de chiotte pour choisir un carrelage aussi merdique !
- Heu... je... Balbutiais-je en émergeant de ma torpeur contemplative.
C'est alors que l'homme tourna la tête vers moi pour me planter son regard dans les yeux.
Je fus décontenancé par la profondeur abyssale de ses grandes prunelles noires qui semblaient me voir sans me regarder. Ses lèvres sensuelles esquissaient un léger sourire poli qui exprimait la plus royale des indifférences. Il était debout, face à mon épouse qui était assise derrière une table surchargée de catalogues et d'échantillons... très contente d'elle.
Il me dominait donc de toute sa hauteur, mais à aucun moment je n'eus envie de me lever pour lui prouver que ma taille égalait largement la sienne.
Les mâles dominants ont entre eux un code qui s'exprime souvent par une gestuelle dont il ne faut pas trop approfondir la signification.
- Je pense que Sylvie a fait un excellent choix. Me balança-t-il d'une voix chaude et enveloppante... légèrement teintée d'un charmant accent méridional.
Ce mec se foutait de ma gueule dans les grandes largeurs. Pour parachever cette insolence, une étincelle moqueuse crépita dans son oeil sombre. Il porta l'estocade en rajoutant :
- Tu vas avoir les plus belles salles de bains du Golfe de Saint-Tropez.
Ah oui ! Il faut que je vous explique. Dans notre milieu, le tutoiement est d'usage avec l'architecte de nos résidences secondaires quand elles se situent dans le sud. Ce tutoiement peut s'étendre du maître d'oeuvre, à l'entrepreneur et pourquoi pas au chef de chantier.
Cette démocratique tradition majore nos factures de vingt pour cent.
Mais qu'importe. Cela n'est-il pas plus chaleureux et ludique dans les rapports humains ?
Tandis que ma catastrophique épouse gloussait d'aise, le jeune homme prit courtoisement congé et descendit de la terrasse d'une souple démarche balancée.
Dans les jours suivants, les murs du nouvel immeuble s'élevèrent rapidement.
Comme c'était le plein été et que la piscine se situait face au chantier d'agrandissement.
Sylvie ne ratait aucune occasion d'exposer sa plastique irréprochable au regard des jeunes maçons perchés sur leur échafaudage. Certes, elle n'était pas seins nus, mais la finesse arachnéenne de ses maillots ne laissait aucune place à l'imagination.
Son comportement me laissait prodigieusement indifférent, car tandis que des regards affamés glissaient sur son corps de sirène, les miens suivaient attentivement les souples mouvements du chef de chantier.
Allongé sur une chaise longue et les yeux dissimulés derrière de sombres lunettes de soleil, j'épiais l'athlétique et svelte silhouette qui évoluait sur le grand échafaudage avec la grâce musculeuse d'un tigre. Pour alibi, j'avais en main un livre de science-fiction dont je ne lisais pas trois lignes par heure.
J'étais troublé, irrité par mon comportement. Je ne voulais pas admettre que je puisse ressentir cette glauque attirance pour un homme. Surtout pour un homme que je ne trouvais guère sympathique sinon odieux.
Abel était souvent torse nu et il transpirait beaucoup. La sueur soulignait la définition impressionnante de sa puissante musculature. Sous sa peau cuivrée, les muscles étaient longs et denses. Modestie mise à part, je n'avais rien à lui envier sur le plan anatomique.
Mais j'admirais cependant, avec un zeste de jalousie, le jeu frémissant de ses fibres musculaires qui saillaient au moindre de ses gestes. Vraiment impossible de trouver un atome de graisse sur le corps sculptural de ce garçon. Pour couronner le tout, il émanait de sa personne une sensuelle animalité qui ne pouvait laisser personne indifférent.
Étrangement, moi, qui étais si satisfait - à bon escient - de mon physique, je restais vêtu de légères cotonnades toute la journée et ne me dévêtais qu'en fin d'après-midi, après le départ de l'équipe de maçons. Pour prendre un bain.
Ce n'était certes pas par pudeur, mais j'avais le sentiment diffus que mes fringues griffées m'accordaient une petite dignité et un léger avantage sur cet homme à demi nu.
Face à moi, il était pourtant parfaitement à l'aise avec son jeans délavé coupé au-dessus des genoux et je ne l'impressionnais nullement. D'ailleurs, la plupart du temps, j'avais la déroutante impression qu'il m'accordait autant d'attention qu'à l'Homme invisible.
Puis vint le jour ou assis sur les marches de la terrasse, j'astiquais la crosse d'un vieux fusil. Je possédais une petite collection de fusils du 19ème siècle dont les crosses étaient sculptées.
Abel, qui circulait à proximité, soudainement motivé par un magnanime intérêt pour ma personne ou tout au moins pour ce qu'elle faisait, s'approcha et me dit :
- Belle arme. J'en possède deux du même genre que j'ai hérité de mon grand père. Leurs crosses sont sculptées comme celle de la vôtre.
Je relevais la tête, un peu boudeur, mais très intéressé. Il me décocha alors un grand sourire amusé. C'était la première fois que je le voyais sourire aussi franchement.
C'était un grand sourire de loup qui révélait des canines de prédateur.
Ses dents étaient très blanches et faites pour mordre les coeurs.
Je fis un petit effort pour lui répondre que cela m'intéressait et que j'aimerais bien voir ces deux fusils. Éventuellement, j'étais prêt à les lui acheter au prix qui lui conviendrait.
Nous convînmes rapidement que le plus simple était que nous allions chez lui pour que je puisse estimer ces objets par moi-même. Ma curiosité serait ainsi rapidement satisfaite.
En fin d'après midi, Abel et moi, avons donc pris place dans mon 4X4 pour tracer vers son domicile. La chaleur était écrasante. A l'écart d'un petit hameau, une solide maison aux volets clos s'accroupissait sous de grands pins balancés par un Mistral paresseux. Une profusion de cigales scellait le silence de leurs stridulations obsédantes.
Le jeune homme qui avait tout au plus deux ans de moins que moi, m'a précédé en m'expliquant brièvement que c'était la maison de son défunt grand-père qui l'avait élevé.
Il restaurait cette baraque à temps perdu pour la rendre plus confortable.
C'était son domicile et cela convenait parfaitement au solitaire qu'il était.
Les fusils étaient au grenier. Nous avons donc emprunté une échelle de meunier pour surgir dans une pénombre étouffante. Les deux armes étaient accrochées au mur du fond.
Sur le plancher poussiéreux, il y avait un vieux matelas. Au moment où je faisais mouvement vers les beaux fusils, les grandes mains d'Abel me saisirent par les épaules et me retournèrent face à lui. J'étais un peu plus grand que lui, mais je compris qu'en cet instant, c'était lui qui conduirait le bal. Son regard, plus énigmatique que jamais me perçait de part en part.
J'ai détourné les yeux, mais je n'ai pas résisté quand il m'a poussé sans ménagement vers la paillasse. Je suis tombé assis sur le matelas et je devais avoir l'air très con avec la bouche grande ouverte.
Sans un mot, le visage fermé, il a enfourché mes hanches, me bloquant sous son poids. Fermement, il m'a renversé en arrière pour ouvrir brutalement ma chemise en faisant sauter tous les boutons.
J'étais ahuri. Complètement dépassé par le culot de ce mec.
Par contre, à cet instant j'étais très heureux de constater qu'il me restait encore assez de candeur pour me faire piéger de la sorte. Une part de moi me conseillait de lui foutre mon poing dans la gueule, mais l'autre part - la plus blasée - s'amusait d'une situation inattendue.
Les bras en croix, je soutenais son regard tandis que ses mains s'activaient sur la boucle de mon ceinturon. J'étais bêtement content quand il a constaté que ne bandais pas. Son désarroi m'a fait sourire. J'ai voulu me la jouer les affranchis en lui disant que nous serions plus à l'aise à poil pour faire une partie de touche pipi.
Sans répondre, il a bondi sur ses pieds avec la souplesse d'un léopard pour se déshabiller en un tour de main.
J'ai fait de même tout en affectant une résignation mi-feinte. Toujours étendu sur le matelas défoncé, j'ai admiré sans retenue ce corps statuaire que la sueur faisait scintiller.
Là, je suis devenu vraiment dur. Lucifer, l'ange des ténèbres était debout au-dessus de moi.
Son sexe dressé était tressé de grosses veines saillantes et son lourd scrotum soigneusement rasé semblait de velours. Abel était un véritable étalon. Je suis, pour ma part, fort bien équipé, ce fut donc sans aucun complexe et même avec une certaine satisfaction que je le laissais contempler mon cock à présent raide comme une batte de baseball. Il grogna :
- Pourquoi m'as-tu caché toute cette belle viande, mec ? Dorénavant, je veux que tu sois en slip de bain quand tu te vautres sur ta chaise longue pour me mater derrière tes lunettes de soleil à la con. Donnant donnant, tu me mates, je te mate. Maintenant, reprenons notre petite affaire.
La seconde d'après, il était de nouveau agenouillé, à califourchon sur mes hanches, mais cette fois nos queues s'affrontaient en une double et farouche érection.
Sans conteste, nous étions tous les deux montés comme des bourricots ! L'irrespectueux chef de chantier m'interdit de me redresser et m'ordonna de lui donner mon jus. Quelle audace !
Mais après tout, tant qu'il n'en voulait qu'à ma queue, ce n'était pas bien grave...
Cependant, le contact de sa peau sur ma peau me troubla si fort que je compris trop tard que je faisais une grosse connerie en laissant ce superbe fils de pute faire joujou avec mes attributs.
L'affaire se corsa lorsqu'une grande main calleuse saisit ma bite et qu'une autre empoigna mes couilles. Des lèvres réclamaient un baiser que les miennes refusaient. Une langue léchait mes abdos qui se durcissaient. Des dents mordaient mes pectoraux qui se dérobaient.
Mes baloches furent alors malaxées de rude manière et mon gourdin fut manipulé de sévère façon. Je me laissais faire " courageusement " car je méritais bien ces petites représailles.
Je taisais mes gémissements et je maîtrisais les traits de mon visage. Je ne voulais pas révéler à cet enfoiré, ni ma douleur, ni surtout mon plaisir.
Au-dessus des épaules musclées de l'homme silencieux, je distinguais un rustique appareillage de poutres, de chevrons et de tuiles romanes.
Disjointes, certaines des tuiles laissaient fuser des raies de soleil pailletées de poussières dorées. Abel suait abondamment et sa sueur coulait sur mon torse couché. Quand vint le moment où je rendis les armes, il se pencha au-dessus de moi et me regarda intensément dans les yeux tandis que je crachais de gros jets de foutre, sans émettre un son.
Des gouttes de sueur perlaient de ses longs cils. Elles tombèrent dans mes yeux grands ouverts. La brûlure fut vive et immédiate. Il le remarqua :
- Je sais, pardonne-moi, me dit-il, ma sueur est très salée. Tiens, goutte.
Prenant appui sur ses deux mains, il abaissa sa poitrine vers ma bouche. Sur ses pectoraux durs et brûlants, j'ai bu la sueur la plus salée du monde.
Sur mon lit de mort (si j'ai la chance d'en avoir un) certains verront peut-être des larmes couler de mes yeux. Ils imagineront bien des causes, mais ne sauront jamais que c'est la sueur d'Abel qui me brûle une dernière fois les yeux.
- Tu m'as donné ton foutre, je t'ai donné ma sueur, nous sommes quittes. M'annonça-t-il
alain.romain@orange.fr