La famine me poussa jusqu'au port de Cardiff.
D'abord l'Irlande, puis l'Ecosse et le Pays de Galles. La maladie des pauvres se propageait à travers le pays. Londres seule se préservait du fléau de la pomme de terre en nourrissant ses ouailles à grands renforts d'évangiles dodus. Trouver du travail pour s'acheter un morceau de pain noirci, impossible pour tout autre qu'un Anglais pure souche. Eux méritaient leur place à l'usine, leurs douze heures de labeur quotidien – les hommes dans les fonderies, les femmes dans les filatures, à carder le coton qui arrivait en masse des colonies indiennes. L'ère du charbon et de l'acier, qu'ils écrivaient dans les journaux – les enfants le criaient dans la rue, pour vendre leur feuille de chou… J'aurais aimé savoir en quels termes ils vantaient ce nouvel âge, mais je n'avais pas un penny ; ma poche était trouée, comme mes chaussures, et lire relevait pour moi de l'exploit. Pas Anglais, pas digne d'être éduqué. Pas la bonne nationalité…
Et quand un manufacturier bienveillant – si tant est qu'un seul d'entre eux puisse jamais l'être – m'offrait de trimer pour lui, je devais accepter le salaire au rabais. La clausule « sale race » entrait en ligne de compte sans même qu'on me demande ma carte d'immigré, ce petit bout de carton sur lequel ma nationalité était spécifiée en gros caractères. Sous le règne de cette bonne vieille Victoria, austère à souhait, « Irlandais » signifiait vaurien, voleur, pervers, ou pire, catholique ! Les femmes reculaient dans la rue quand elles nous croisaient, moi et les miens. Les hommes nous crachaient dessus quand ils rentraient de l'usine et, dans les bars, on nous injuriait.
Je me retrouvai donc assis sur l'un des piliers d'amarrages, sur le port de Cardiff. Je contemplais le Providence, un grand galion aux larges voiles, qui faisait pâle figure à côté des innombrables steamers. J'avais quitté Liverpool dans la matinée, en utilisant mon maigre salaire pour acquérir un précieux billet de train – voyage dans la bétaillère, mais assez rapide pour me conduire au Pays de Galles avant le départ du navire.
Déjà sur sa passerelle, les immigrés se massaient pour monter à bord. Ils souhaitaient tous traverser l'Atlantique afin de trouver une vie meilleure, moins discriminatoire, plus prospère. Les bourgeois évoluaient sur les ponts supérieurs, dans leurs tenus de magnats de la finance. Certains effectuaient une traversée de plaisance, d'autres souhaitaient étendre leur fortune aux grandes plaines de l'Alabama. Moi, je n'avais pas cette chance.
– Hey, la roussaille irl'daise, bouge donc t'cul et met'oi au boulot si t'veux gagner ton passage !
Je ployai la nuque et reprit le chargement des lourdes malles. Je les montais deux par deux, et les confiais aux petites mains des serviteurs raffinés, qui s'assuraient que le haut du panier ne manque de rien durant son voyage. Pauvre, je m'asservissais à un contremaître tyrannique pendant plus d'une semaine, jusqu'à ce que le Providence me débarque sur la Terre Promise.
J'avais quitté l'Irlande pour travailler. Je fuyais à présent l'Angleterre, le Royaume-Uni et l'Europe, qui me rejetaient avec tant de force, des années après mon premier exil. A presque trente ans, je m'offrais ce nouveau départ en prostituant encore une fois ma force.
Le Providence largua les amarres en fin de matinée. Ses voiles se gonflèrent, fières. Le navire traîna sa lourde charpente sur le flot paisible, sortit du port et, avant le soir, on n'apercevait plus de Cardiff que les immenses cheminées industrielles, qui vomissaient en permanence les noires exhalaisons du progrès.
Mon travail à bord demeura inconnu aux yeux des passagers les plus aisés. On me parqua dans la cale, ou l'on me sortait de nuit, du fait de mon physique peu engageant. Ma carrure effrayait les bourgeois, autant que mes cheveux roux et ma barbe hirsute. Impossible de ne pas deviner mes origines, j'avais tout de l'Irlandais notoire ; le teint buriné par les embruns de la côte, le physique mal dégrossi, une musculature inélégante qui aurait demandé un sérieux équarrissage. En somme, l'apparence d'un ours rouillé, qui possédait sans doute tous les vices imputés à ses origines.
Entre deux cordages, ou en raccommodant les voiles, je buvais sans doute trop ; mais malgré l'alcool, je gardais mes remarques pour moi. Tout au plus, il m'arrivait de grommeler sur le contremaître jusqu'à l'heure de la soupe, qui apaisait mon humeur.
A cette époque, Thomas Welsh ressemblait davantage à une épave qu'à un véritable marin. On m'appelait parfois « Tommy Scotch », rapport à mon goût prononcé pour le whisky, ou encore « Thomas Pine d'acier », car il m'arrivait de raconter mes frasques avec ces dames, quand je finissais mes soirées rond comme une queue de pelle. Je vantais mes prouesses sexuelles haut et fort, au point que certains compagnons de route s'installaient à côté de moi, sortaient leur braquemart et se paluchaient en entendant mes récits paillards – des vantardises, pour la grande majorité, du moins au début… Je contribuais, sans le vouloir, à accentuer les rumeurs autour de la sexualité débridée des Irlandais.
L'une des rares fois où je m'aventurai sur le pont en plein jour, je croisai un groupe de bourgeoises qui confirma ces préjugés. Le lendemain, le contremaître vint me voir et m'offrit une coquette somme, de la part d'une de ces ladies, pour que je la besogne dans la cale, loin du regard jaloux de son mari impuissant. Ces femmes, toutes des épouses de Lords ou de manufacturiers qui, occupés par leurs affaires, oubliaient la plus importante – et la plus intéressante – du mariage. Ma pauvreté me poussa au vice ; je me vautrais dans la luxure pendant plusieurs jours.
De belles dames au parfum capiteux et aux multiples jupons descendirent à la cale pour que je les soulève et leur trousse l'abricot. Elles apprécièrent l'Irish Method, bien différente du raffinement de leurs maris. Je les prenais dans des positions presque animales ; elles jouissaient et s'en allaient, heureuses d'avoir profité de la bête sexuelle que le contremaître louait en secret – il fit sûrement sa fortune en capitalisant sur mes organes génitaux.
Dans les cabines aménagées à bord, les femmes discutaient de mes talents autour d'une tasse de thé, comme elles aimaient à le faire dans les salons londoniens, lieux de ragots par excellence. Je devins une rumeur, et chacune voulut goûter à mon chibre ; leurs mœurs, si coincées et rigoureuses sur le continent, s'effaçaient bien aussitôt qu'on le quittait. Si notre pauvre reine avait su ça, que serait devenue sa précieuse morale ? Au diable les bréviaires et les prières, ma Sainte-Verge dominait depuis le fond de plancher jusqu'à la cabine du capitaine.
En fier Irlandais, j'eus tôt fait de répandre mon foutre partout à bord. Avant la fin du voyage, j'engrossai probablement quelques-unes des passagères sans le savoir. Neuf mois plus tard, les époux, voyant sortir un polichinelle du tiroir de leurs femmes, eurent sûrement une mauvaise surprise s'ils les trouvèrent plus roux que des carottes.
Le soir, encore grisé par mes multiples ébats du jour, je narrais tout cela au reste de l'équipage, qui m'enviait soudain ma réputation et ma nationalité. Pourtant, ceux qui tentèrent d'approcher une bourgeoise en public en furent quitte pour un blâme et une solide gifle. Elles arboraient toutes un masque de vertu, sauf lorsqu'elles recherchaient mes bons soins. Je développai donc un talent de conteur, à force d'enjoliver mes récits. J'ajoutais des détails, des descriptions, et, dans l'obscurité, il n'était pas rare d'entendre des grognements de plaisir dans les hamacs voisins, ou sur les couchettes. J'aimais imaginer l'activité à laquelle mes camarades se livraient, pendant que je débitais des flots d'obscénités.
Il y avait, parmi mes plus fidèles auditeurs, un homme dont je ne remarquai la présence qu'au bout d'une semaine. Discret, assis sur un baril de poudre de salpêtre, ou allongé sur un lit en toile de jute, il m'écoutait religieusement, sans pour autant se livrer à d'indécentes activités avec ses parties honteuses – contrairement à bon nombre de marins, qui ne perdaient pas une occasion de se frotter le nœud, ou de se lustrer le mât de misaine, selon l'expression qui vous convient.
Lui m'observait. Son regard clair et perçant détaillait mon corps et, d'une certaine manière, parvenait à lire jusque dans mon âme. Il triturait une lavallière si jaune qu'elle me rappelait les champs de jonquilles dans lesquels je gambadais enfant. Pour le reste, il affichait une sobre élégance qui évoquait à la fois le dandy anglais, l'artiste parisien, dont la pensée est toujours un peu de travers, et l'insolence italienne, par l'intermédiaire d'un sourire à peine esquissé, mais plein de sous-entendus.
Son costume râpé par de multiples nettoyages conservait, comme lui, une grâce qui justifiait sa discrétion ; il n'était de toute évidence pas du même monde que les rustres avec lesquels il se voyait obligé de voyager, par quelque coup du sort, probablement financier. Trouver un bourgeois ou un noble désargenté parmi la masse populaire n'était pas rare, mais, en général, les caractères primaires et hautains des espèces supérieures ressortaient vite quand on leur plongeait le nez dans la fange ; ils se plaignaient alors du moindre détail, matin et soir.
Cet homme, jamais il ne prononça un mot plus haut que l'autre. Ce fut à peine s'il prononça un mot, d'ailleurs.
Une fois ou deux, je le surpris à ramener ses longs cheveux blonds derrière sa nuque, comme s'il cherchait à les nouer à l'aide d'un catogan qu'il ne possédait plus depuis longtemps. Je le croisai plusieurs fois quand il revenait des cabines. A force, je compris que, tôt le matin, il nettoyait les lieux et utilisait au passage les miroirs et les rasoirs de ces messieurs pour entretenir une barbe courte, autour de sa bouche et sur son menton ; un collier clair remontait jusque sous ses mèches, mais il dégageait l'essentiel de ses joues, afin qu'elles restent lisses.
Souvent, un jeune garçon s'asseyait à ses côtés pendant que je m'amusais à tricoter mes récits paillards. Lui paraissait nettement moins insensible au pouvoir vulgaire de mes mots ; il se tortillait dans tous les sens et essayait de contenir une érection dérangeante. A dix-huit ans, à peu près, il n'était sûrement pas accoutumé à une telle proximité avec d'autres hommes ; les voir ainsi sortir leurs membres et s'astiquer n'avait rien de naturel à ses yeux, aussi n'osait-il pas les imiter. Je le présumais, du moins.
Ce garçon aussi portait des cheveux allongés, très noirs, même s'ils n'atteignaient pas ses épaules, contrairement à son voisin. Il semblait plus fin encore que ce dernier, mais n'affichait aucun signe physique ou vestimentaires qui eut trahi une classe sociale différente de la nôtre. Il appartenait bien à l'univers des petits travailleurs – ces centaines de mains qui s'agitaient chaque jour pour que le haut du panier ne manque de rien.
Je supposai assez vite qu'il s'agissait d'un secrétaire, car il prit l'habitude d'écrire frénétiquement à l'aide d'un vieux fusain. Il récupérait le papier que nous distribuait le contremaître, afin que l'on puisse écrire à nos familles durant notre séjour sur le Providence, et poster l'ensemble de nos lettres si nous arrivions un jour à bon port. Quelle ironie, quand la moitié des marins savaient à peine écrire dans un anglais correct. Plusieurs demandèrent d'ailleurs au jeune brun s'il voulait bien rédiger leurs messages, en échange du reste de papier vierge. Il attendit la permission de mon mystérieux auditeur blond pour accepter, ce qui confirma mon intuition d'une relation de maître à employé. Un bourgeois qui renonçait à son confort, mais pas à son valet, voilà qui intriguait.
Entre le troussage de damoiselle et le travail quotidien sur le navire, j'achevais mes journées sur les rotules. Pourtant, un jour où je croisai le brunet plongé dans ses innombrables feuilles de papier, je lui demandai sans ambages ce qu'il écrivait ainsi chaque soir, à l'heure où nos camarades appréciaient mes petites histoires. Il bredouilla une réponse maladroite, en se recroquevillant devant ma carrure. Puis, voyant que je ne représentais aucune menace, il se détendit peu à peu, tandis que je l'observais en buvant un godet d'eau sale. Je déchiffrai son nom en signature, au bas des papiers, malgré mes difficultés à lire.
– Alors Victor, lui dis-je derechef, qu'est-c'que t'écris de beau ? Des lettres à ta manman ?
Le jeune homme secoua la tête et, d'un ton hésitant, il m'avoua recopier mes aventures érotiques pour en profiter ensuite dans son coin. Je remarquai soudain qu'en effet, le papier paraissait collé par endroit. Nul doute que pour avoir compulsé autant de feuillets, le petit pervers glosait autour de mes aventures sexuelles et y ajoutait des caractéristiques littéraires qui n'effleuraient pas mon esprit rustre. Si à l'époque j'avais su lire, je me serais plongé dans ces histoires avec intérêt, et j'aurais ainsi découvert qu'au lieu des pruneaux de bourgeoises, mon personnage enfoutrait l'œil de bronze de jeunes minets.
J'observai avec un intérêt renouvelé ce garçon maigre, sur lequel mes vêtements auraient paru immenses. Alors qu'il me fixait, mal à l'aise, un roulis fit tanguer le bateau. Victor fut projeté en avant et atterrit sur mon torse puissant. Ses mains se posèrent sur mes pectoraux. Son nez toucha la toison rousse qui les couvrait, sous ma chemise grande ouverte. Il inspira une pleine bouffée de mon odeur virile.
Je toussotai pour lui indiquer que sa perte d'équilibre dépassait le seuil de crédibilité. Il dissimula le rouge de ses joues derrières ses cheveux sombres, mais ne parvint pas à occulter l'érection qui tendait son pantalon. Il se redressa, récupéra ses papiers et disparut en courant.
Je souris ; les hommes m'indifféraient en ce temps, mais je comprenais soudain mieux les raisons de sa fuite. Je ne jetais pas la pierre à Victor, puisque je quittais également l'Angleterre austère et réprobatrice pour me rendre dans un lieu où la liberté avait encore droit de cité, loin d'une religion de surface, écrasante et intolérante. Je laissai donc la Bible aux évêques et aux papes ; pour ma part, je me fichais bien de Sodome et Gomorrhe.
Toutefois, les préférences de Victor réveillèrent une part de curiosité dans mon âme. Les ladies oisives me lassaient ; elles me retrouvaient à la cale, soulevaient le jupon et écartaient leurs cuisses hospitalières en espérant que le grand besogneux de l'Irlandais ferait tout le travail dans leur craquette.
Je jouissais de manière quasi-industrielle dans des femmes de manufacturier, comme les ouvriers dans les usines de leurs maris, qui tournaient à la chaîne. L'ennui ! L'histoire nocturne, je l'inventais à présent pour continuer de fasciner mes spectateurs, les pousser davantage dans une mare de stupres, les exciter, leur vendre mes saletés comme un marchand de journaux sur les quais de la Tamise, ou un maquereau avec les filles qu'il maquillait soigneusement pour le tapin. Savoir que mes mots provoquaient des raideurs dans leur bas-ventre, quelle sensation grisante !
Je souriais désormais quand je voyais Victor, studieux, qui retranscrivait religieusement mes paroles. J'espérais secrètement qu'une fois aux Etats-Unis, il en ferait un livre, qu'il le publierait dans les milieux clandestins, et que mes ignominies pleines de luxure s'infiltreraient jusque dans les chambres de bonnes ou les salons mondains. Je songeai même à le séduire avec mes attributs virils, histoire de lui insuffler l'idée par l'esprit du bas. Mais une intuition me disait que son maître, toujours à côté de lui en fin de soirée, m'empêcherait de tenter quoi que ce soit.
A force de les observer, j'en vins à me demander s'ils entretenaient plus qu'une relation salariale. J'enquêtai donc sur le fameux damoiseau à la lavallière jaune ; mais hormis son nom, je n'appris rien de plus parmi les marins au sujet d'Etienne Cubeny, jusqu'à ce que le ciel nous tombe sur la tête.
La tempête. Voilà l'une des craintes majeures pour ceux qui se risquaient à travers l'Atlantique.
Les nuages sombres s'amoncelèrent. La houle violenta la coque du Providence. Des vagues hautes comme la tour de Londres s'abattirent sur le pont principal. En fin d'après-midi, le capitaine ordonna aux voyageurs de s'enfermer dans leurs cabines ; il fit également ramener les voiles, afin que les colères d'Eole ne sortent pas notre coque de noix de sa trajectoire initiale.
L'obscurité précéda la nuit. Le ciel se déchira comme l'hymen d'une pucelle. Un éclat aveuglant frappa l'horizon. Une détonation – un véritable coup de canon ! – fit défaillir les fragiles fleurs anglaises, qui tombèrent en pâmoison dans les bras de leurs maris impuissants. Les éclairs lézardaient l'amas noir. Ciel et mer se confondirent, tant les éléments déchaînaient la colère de Mère Nature.
Chacun crut qu'il serait bientôt l'heure de se confronter à son Créateur.
Le Déluge ! L'Apocalypse ! Le Jugement Dernier ! La tempête menaçait d'envoyer le navire vingt mille lieues sous les mers.
Devant une telle fureur, une congrégation de bigots monta sur le pont pour implorer leur Seigneur et prier à grand renfort d'évangile. Ils brandirent leurs bréviaires vers la demeure du Tout-Puissant. Crucifix et chapelets levés en direction de leur maître, ils s'en allèrent le rejoindre. Six furent emportés par les rouleaux. Trois autres encaissèrent la mer démontée ; leurs corps se fracassèrent contre les mats.
Pour ma part, j'estimai que, puisque nous devions mourir, je préférais mourir sans m'apercevoir de mon sort. Je fracturai la réserve personnelle du capitaine, dans les cuisines, et y dérobai deux bouteilles d'un scotch écossais – le moment n'était plus au chauvinisme. J'avalai d'un trait la moitié d'une musette, en serrant affectueusement l'autre contre ma poitrine, avec la ferme intention de lui faire un sort dès que sa jumelle serait à sec.
La liqueur ambrée descendait dans mon gosier, le brûlait, remplissait mon ventre à jeun et enivrait mes sens. Je tanguais autant que le navire, mais par chance, ma forte résistance à l'alcool me permit de voir clairement la scène qui se déroulait sous mes yeux, quand je me rendis dans la cabine des bigots défunts, en quête de leur délicieux vin de messe.
Je forçai la porte, dans un geste peu catholique, et découvris Etienne Cubeny en compagnie de son secrétaire.
Leur position… !
Le roulis et la boisson me faisaient-ils halluciner ? Je réalisais petit à petit que non. Je voyais bien ce que je pensais voir. Les deux têtes, l'une brune, l'autre blonde, se tournèrent dans ma direction.
Le regard bleu d'Etienne perfora le nuage éthéré que l'alcool formait autour de mon esprit. L'obscurité relative ne dissimulait rien de sa nudité. En tenue d'Adam, il offrait sa peau claire à son secrétaire. Celui-ci ne portait comme seul accessoire qu'une ceinture, qui appartenait probablement à son employeur. Ce dernier, après avoir sans aucun doute déshabillé lui-même le svelte Victor, lui avait passé la lanière de cuir autour du cou et le tenait désormais sous son emprise.
Le calme olympien qu'affichait Etienne égalait la surprise qui se lisait sur le visage de son subordonné, lequel s'installait à califourchon sur son patron au moment où je pénétrai dans la pièce.
Les pommettes de Victor rougirent. Il retira précipitamment les doigts qu'il enfonçait entre ses cuisses écartées, mais ne bougea pas, dans l'attente d'un commandement de la part de celui qui menait la danse.
Etienne me fixait sans sourciller. Un pâle sourire, ironique et provocateur, flottait sur ses lèvres – le même qu'il arborait quand il écoutait mes histoires. D'un œil distrait, je notai la fine musculature qui dessinait les courbes de son corps ; jusqu'ici, les vêtements avaient toujours caché les lignes élégantes de son torse, de ses bras et de ses jambes. Pourtant, sa carrure n'en imposait pas plus que celle de son secrétaire, en comparaison avec le reste de l'équipage – équipage qui les aurait sûrement jeté à l'eau s'il avait découvert ce qui se déroulait sous mes yeux.
Des sodomites, comme je le supposais. Voilà la raison de leur exil, loin de la société britannique, austère et réprobatrice. On en condamnait au bagne pour moins que ça ! A titre personnel, je me fichais de la manière dont chacun utilisait sa verge, autant que je me fichais d'avec qui je satisfaisais mes pulsions. Jusqu'ici, aucun n'homme n'était passé entre mes cuisses ; la morale me gardait de me prêter à une telle activité sur ma terre natale. Mais ce soir-là, à bord d'un navire chahuté par les vents, un aiguillon piqua ma curiosité. La pièce tanguait, et à la faveur d'un basculement, je me penchai pour tenter d'apercevoir les organes de ces messieurs, à des fins comparatives.
Cet acte brisa la tension qui planait entre Etienne et moi. Il se détendit et, constatant mon intérêt pour leur activité, se dégagea de sous Victor. Il se tint debout devant moi.
Je pus contempler son corps dans son intégralité. Contre toute attente, je cédai aisément à mes envies, en partie parce que la boisson levait mes inhibitions. Je regardai sans scrupule les formes du beau bourgeois, admirai sa peau lisse, l'imaginai douce, et appréciai de voir les mains de Victor qui s'y promenaient.
En effet, le minet brun se tenait derrière son compagnon et le touchait sous toutes les coutures, en lançant des regards qui signifiaient clairement que ce spectacle était à mon intention. Je suivais des yeux le trajet de ses doigts, avec l'espoir qu'ils descendraient vers la zone que je n'osais pas encore regarder. Comme muent par le même désir que moi, ils suivirent la ligne abdominale, chatouillèrent le nombril d'Etienne, effleurèrent son pubis imberbe, et s'emparèrent enfin du membre scandaleux – celui dont j'éloignais jusque-là mes yeux, de peur de céder à ce qui n'était encore rien d'autre qu'une tentation, quelques secondes avant que je ne m'y abandonne.
Le sexe en érection me fascina, car bien que j'en eue vu plus d'un, à force de vivre en compagnie de marins ou d'ouvriers, il me semblait que je découvrais pour la première fois le membre d'un homme. Le contexte rendait la chose nouvelle. Savoir qu'un rustre durcissait pour trousser la femme de chambre, cela n'avait rien à voir avec une trique aussi raffinée, propre, éduquée même, qui bandait nette dans le but de remplir par l'anus un joli petit secrétaire d'à peine dix-huit ans.
Une queue modeste, pour un homme ruiné. Modeste, même petite, à dire vrai. Elle mesurait à peine plus d'une dizaine de centimètres. Au niveau de la hampe, peu épaisse, un réseau de veine ressortait sous le blanc de l'épiderme. Un prépuce recouvrait le sommet du bourgeon, au bout de cette branche pleine de sève. Victor empoigna la queue de son employeur, qui tenait entière dans sa main, et en recula la calotte, afin que le gland rose pointe enfin son nez hors de son vêtement. Enfin, à la faveur d'un sursaut de l'érection turgescente, je découvris une paire de bourses charnues, qui lestaient le membre viril dans les mêmes proportions raisonnables.
Quelle vision surprenante, pour un homme dont les conceptions masculines impliquaient nécessairement de gros calibres, des quantités astronomiques de foutre et un exercice du rut digne d'un cerf. Encore un riche parvenu qui promet plus qu'il ne donne, remarquai-je in petto, devant un chibre qui me décevait presque.
Etienne toucha son nœud, accompagnant le geste de son secrétaire, afin qu'ils masturbent ensemble son sexe, dont l'extrémité secrétait déjà un peu de pré-sperme. Le regard que me lançait l'élégant blond perturbait mes sens, plus encore que l'alcool. L'éternel sourire hantait ses lèvres, et me laissait un arrière-goût de provocation, mêlé à un soupçon de tentation.
Victor, toujours caché derrière le corps de son mâle, pinçait les tétons de celui-ci. Des caresses sur les petites pointes brunes et dures accentuaient l'érection d'Etienne. La ceinture pendait mollement autour du cou du brunet, mais il n'osait pas la retirer sans une permission préalable ; cette bride, semblait-il, l'empêchait de se jeter sur son patron pour commettre avec lui de suprêmes outrages.
Je mentirais si je disais que ce spectacle me laissa de marbre. Déjà bien échauffé par le whisky, il ne me fallut pas plus d'une minute pour convoquer dans ma mémoire les souvenirs diffus de mes aventures sexuelles.
Les récits se mêlèrent à la réalité. La fiction et l'imagination jouèrent une part importante dans la raideur soudain de mon bas-ventre ; je comparais ce que je connaissais et la scène à laquelle j'assistais. J'en vins vite à la conclusion qu'il serait dommage de ne pas profiter d'un amusement auquel je ne m'étais jamais livré, mais qui possédait assez d'intérêt pour justifier la gaule d'Etienne. En mon for intérieur, je voulais assister à la suite. Connaître les secrets sodomites. Observer leurs mœurs et les rituels sexuels. Les découvrir comme un observateur caché dans les fourrés. Mais surtout, par-dessus tout, je souhaitais y prendre part.
Etienne le remarqua. Les bras de Victor cessèrent de parcourir son corps. Ils s'immobilisèrent, comme deux serpents soudain surpris, soudain attaqué, soudain terrifiés, soudain conscients que leur maître ne les désirait plus. L'étreinte du secrétaire disparut et, dès qu'il en fut libéré, le bellâtre blond s'approcha, tout en continuant de branler sa courte queue. Il touchait tantôt son gland, tantôt ses bourses, mais venait surtout vers moi pour me toucher. Deux doigts tenaient son menton ; il les passait inlassablement sur sa barbe courte, taillée à la perfection, qui lui conférait une élégance naturelle. Elle tenait une part importante dans son charme – son charisme même – qui s'accrut encore davantage lorsqu'Etienne m'adressa pour la première fois la parole.
– Bonsoir Thomas. Désirerais-tu te joindre à nous ? J'en ai bien le sentiment, si j'en juge par ceci.
La paume se referma son mon paquet raide. Il l'étreignit. Son sourire hantait toujours ses lèvres, devenues tout à coup si attirante. Son ton, doux, racé, portait l'accent de Londres. J'y retrouvais les pointes qu'on entendait parfois, quand on passait devant les banques, à la sortie des usines. Rien à voir avec le jargon ouvrier ou le verbiage rude des manufacturiers parvenus. Il s'agissait d'une langue d'un autre siècle, dernière rescapée d'un raffinement qui ne se trouvait plus qu'aux alentours de Westminster, ou dans certains salons intimes, là où les débats mondains animaient la conversation, aussi assurément que les finances agitaient l'esprit d'un cercle d'industrieux, un soir, devant une boîte de cigares cubains.
Après un instant de silence, en réponse à mon interlocuteur, je hochai la tête, timide. Cela ne me ressemblait pas, pas plus que ce que je m'apprêtais à faire.
Etienne toucha mon pénis dur, le caressa sous le tissu rugueux qui me couvrait, et déboutonna les quelques attaches qui tenaient encore ma chemise de lin à peu près fermée. Victor resta en retrait et, à en juger par le mouvement de son bras, dans l'obscurité, il se masturbait en profitant de la vue. Son employeur s'occupait de mon cas avec un plaisir certain ; il se réservait le privilège de dénuder un mâle aussi imposant que moi.
D'un geste presque cérémonieux, Etienne écarta les pans de ma chemise afin de dévoiler mon torse brut. Des muscles saillants, un corps épais, taillé en V, des pectoraux gonflés, tapissée d'une toison rousse, drue, qui dissimulait deux tétons cuivrés, puis descendait sur mes abdominaux, jusque sous mon nombril. Rien de très élégant, en comparaison de la peau douce d'Etienne, lisse comme celle d'un nourrisson. Il appréciait pourtant ma rudesse, il trouvait là un côté mâle qui lui plaisait. Il commenta mon physique, à l'instar d'un bookmaker au moment de parier sur un étalon. Ensuite, toujours sur un ton flegmatique, mais chargé de pouvoir, il s'adressa à son secrétaire :
– Victor, approche donc, viens contempler notre ami. Il possède tout ce que tu aimes chez un homme, à ce que je crois. Et nous allons bientôt découvrir davantage encore sa personnalité… Je ne voudrais pas que tu manques cela, très cher.
Le jeune brun quitta son coin, sur le lit, pour s'approcher. Ses hanches ondulaient quand il marchait. La ceinture pendait, depuis son cou jusqu'à son entrejambe, à peine plus volumineuse que celle d'Etienne. Ils ne doivent pas s'amuser beaucoup, ceux-là, songeai-je alors, ignorant à ce moment-là des pratiques homosexuelles, et du fait que taille n'importait pas, pour peu que l'artisan sache user convenablement de son outil. L'élégant blond déballa d'ailleurs le mien avec une lenteur qui mit ma patience à l'épreuve ; il dénoua le cordon, écarta l'échancrure de mon pantalon, et fit tomber ce dernier sur mes chevilles, dévoilant au passage mes cuisses musculeuses, ainsi que ma verge, qui plut beaucoup à Victor, dès le premier regard.
Le secrétaire vint coller sa silhouette fine contre mon physique d'ours roux. Il encouragea mes mains à s'aventurer sur lui. Je touchai son ventre plat, palpitant, sa poitrine haletante, j'effleurai ses tétons fragiles ; je devinais son sexe plaqué contre ma cuisse, dur et chaud, palpitant comme un petit cœur en émoi. Je dégageai son visage en écartant ses mèches noires. L'acte imminent m'angoissait presque. Victor jouait avec ma grosse queue ; il la masturbait d'un geste expert, son coup de poignet m'arrachait déjà des gémissements.
– Tu n'as pas menti, me souffla-t-il à l'oreille, elle est vraiment grosse, comme dans tes histoires. J'aime ça… et toi aussi, tu vas aimer ce que je vais lui faire. Ça sera meilleur que de la bourgeoise qui minaude, je te le promets Thomas.
Un regard en arrière, vers Etienne. Victor demandait l'autorisation. Son employeur lui retira la ceinture du cou et l'embrassa. Leurs langues se rejoignirent ; j'assistai à cet acte passionné, tandis que le minet brun lustrait toujours ma chandelle en feu.
– Donne-nous du plaisir, à tous les trois, susurra Etienne à l'intention de son serviteur.
C'était un ordre. Une évidence. Prononcée sur un ton doux, égal, so british. Mais cela demeurait un ordre. J'avais entendu assez de maîtres en adresser aux manœuvres, aux contremaîtres ou aux dockers, pour savoir que, derrière cet air inébranlable, l'autorité régnait et ne tolérait aucune contestation. Ce charisme inhérent s'imposait de lui-même.
Victor se jeta sur mon corps et commença à le dévorer dès qu'il en reçut la permission. Il suçota mes tétons cuivrés, ébouriffa la toison rêche qui couvrait le haut de mon corps, s'accrocha à mes larges épaules pour m'enserrer dans son étreinte reptilienne, érotique, si bandante. Mon nez plongea involontairement au milieu de ses mèches noires. Mes bras emprisonnèrent sa taille fine, tandis qu'il se frottait contre mon corps. Entre nous deux, mon sexe en érection connaissait la douceur de ce ventre qui le frottait, et sur lequel s'étalait mon pré-sperme. Un regard dans cette zone, et je voyais les traces luisantes que mon gland déposait autour du nombril du minet. Lui aimait l'aura de virilité que je dégageais. Il s'y complaisait en murmurant de petits mots, afin d'attiser encore plus ma vigueur.
Sa paume soupesa mes lourdes bourses. Ses doigts étreignirent ma verge raide et la parcourent sur toute sa longueur, m'arrachant ainsi une série de râles. Je basculais la tête en arrière. Les lèvres de Victor se posèrent sur mon cou, léchèrent ma pomme d'Adam, mordirent mon menton, pour enfin arriver sur ma bouche. Sa langue s'y inséra et, devant l'acte accompli, je n'hésitai pas une seconde. Je saisis le beau brun par la nuque pour lui rendre son baiser. La sensation me plut. Tellement de sensualité dans un jeune homme aussi survolté, prêt à toutes les folies sexuelles ; cela réveillait mes pulsions. Le sang irlandais en moi, déjà imbibé par la boisson, me fouettait l'épiderme et excitait mes envies primaires irrépressibles – bien loin de l'ennui que j'éprouvais ces derniers temps, quand je fourrais de la bourgeoise londonienne en mal de gros chibre.
En arrière-plan, Etienne se masturbait. Etendu sur la couchette dans une position nonchalante, il observait tantôt le petit cul de son secrétaire, tantôt mon gros organe, que je brandissais fièrement. Emporté dans un élan lubrique, je l'exhibais même au beau blond et l'astiquais frénétiquement, pendant que Victor continuait la découverte de mon anatomie. Toutefois, une simple caresse sur mon postérieur velu mit un terme à ce petit spectacle. Je freinai des quatre fers et m'exclamai haut et fort que je n'étais en rien un sodomite. Personne ne toucherait à mon anus !
Etienne Cubeny se leva, toujours le sexe en main. Il caressa mon visage, tira l'un de mes tétons, approcha ses lèvres des miennes et y souffla quelques mots au goût de miel :
– Voyons Thomas, après toutes ces rodomontades au sujet de ta virilité, crois-tu donc que je souhaite te voir si soumis. Victor est là pour ça. Il t'a promis du plaisir, prends-le. Imagine cela comme un petit jeu auquel nous allons jouer à trois… Un petit jeu très divertissant.
Etait-ce son emprise, mes gènes d'Irlandais sauvage, ou simplement un excès d'alcool ? Je ne saurais le dire. Mais je compris d'instinct ce que mon interlocuteur voulait dire. Je posais un rapide baiser sur ses lèvres – trop rapide, cela le frustra, mais il n'en eut pas plus, car mes désirs de mâle reprenaient le dessus. Je me tournai vers Victor, qui perçut dans mes prunelles l'ordre que je m'apprêtais à lui adresser. Sa bouche se balada derechef sur mon torse, décidément objet de fantasme à ses yeux – à croire que les muscles d'un rustre déterminaient son statut d'homme viril durant l'acte.
A genoux devant moi en un rien de temps, le secrétaire attendit que je donne le signal. Il louchait sur la grosse friandise, sous son nez, mais n'osait pas la toucher. Dans son dos, Etienne tripotait ses fesses et lui insérait déjà un doigt dans le fondement. Je promenai mon gland rose sur les lèvres satinées du jeune brun. Il se lécha les babines en découvrant la saveur de ma mouille. Le bout de sa langue rose pointa, lécha mon méat, dégusta encore un peu mon fluide visqueux, puis goba la pointe de mon éperon. Sa mâchoire s'ouvrir pour faire entrer à sa suite le reste de mon organe, à la fois long et épais. La légère courbe que le caractérisait offrit un peu de défi à mon partenaire, qui se délecta de ma merveilleuse bite – un régal, comme il le dit lui-même entre deux allers-retours dessus.
Le bruit de bouche correspondait au peu que j'avais eu de la part des femmes, mais les sensations dépassaient de très loin ces expériences rares et décevantes. Victor suçait comme un dieu. Il coulissait avec aisance sur ma tige, la lustrait pour bien étaler sa salive dessus, massait mes couilles pendant qu'il prenait mon gland au fond de sa gorge. Il s'en donnait à cœur-joie sur ma queue, pour mon plus grand plaisir.
Il levait un regard satisfait vers moi, tout en s'enfonçant sur mon sexe en érection. Ses mains touchaient mon torse, forgé par des années de dur labeur. Son employeur ne tenait pas la comparaison face à moi ; pour une fois, le petit secrétaire s'occupait d'un vrai mâle.
Parlant d'Etienne, ce dernier s'amusait aussi à sa manière. Il avait levé le cul du minet, désormais à quatre pattes entre nous, et s'occupait de son anus d'une étrange manière. J'ignorais jusqu'alors qu'une série de petits coups de langue bien placés sur cette zone rendait encore plus salope un jeune homme adepte du vice italien. Ce dernier s'empalait littéralement sur ma bite et la suçait comme un affamé. La chaleur et la vitesse menaçait de me faire larguer la sauce, tant Victor se lâchait pour compenser le plaisir qu'il recevait par derrière. Quand il recracha mon chibre, je craignis que ses cris n'alertent tout l'équipage, malgré le tonnerre qui frappait la mer à l'extérieur ; je lui renfilai donc mon morceau dans la bouche, sans lui accorder de répit.
Le roulis du navire ne me posait aucun problème. Si mon esprit était secoué par le whisky, mes jambes, épaisses comme des troncs, me tenaient solidement campé. Elles se contractaient et devenaient aussi raide que ma bite à chaque fois qu'un mur d'eau s'abattait sur le pont supérieur. La fin du monde me semblait loin, à présent que la douce bouche de Victor pompait avidement mon dard. Les yeux fermés, ma poigne sur sa nuque, je lui imprimais mon rythme et me sentais tant à mon aise que je me serais bien pris à lui juter mon foutre dans le gosier, s'il n'avait pas craché soudain ma queue pour pousser un cri de satisfaction plus bruyant que les foudres du Seigneur.
Etienne se trouvait à genoux derrière lui. Il le tenait par les hanches ; son pubis imberbe butait contre le postérieur rond, et le visage extatique du bourgeois indiquait le bonheur qu'il éprouvait en cet instant. Tout en caressant le dos de son secrétaire et en baisant ses omoplates, il lui murmurait de douces paroles. Puis il le saisit par les épaules, et un premier claquement – le son familier d'une paire de couilles contre un petit cul, connu même d'un adepte de la craquette plus que de l'œil de bronze – résonna, atténué par la tempête qui faisait rage.
Durant plusieurs minutes, je me masturbais en observant Etienne Cubeny, homme du monde, raffiné et délicat, qui enculait Victor avec son petit pénis. Le jeune secrétaire vocalisait la joie qu'il éprouvait par l'anus. Nul doute que l'organe, peu imposant, entrait sans rencontrer de résistance et ramonait l'arrière-train du minet dans les règles de l'art.
Le ventre aux muscles fins de l'enculeur se contractait dès qu'il plongeait jusqu'à la garde son canif dans la chair chaude. Il se crispait, s'arrêtait un instant pour profiter d'une sensation que je désirais soudain connaître, puis reculait afin d'envoyer un nouveau coup de rein aussi dynamique que le précédent.
Entre ses « oh oui » saccadés, aigus, Victor me jetait des regards de braises en passant sa langue sur ses lèvres. Il me suppliait presque en silence de remplacer Etienne.
Je me branlais. Les yeux clairs du bellâtre blond se délectaient du spectacle de ma main sur mon sexe dur. Etienne ondulait du bassin, roulait des hanches et donnait de petites claques sur le postérieur de Victor, histoire de raffermir encore mon pénis, déjà au comble de la raideur. Mon gland mouillait et menaçait d'expulser ma semence. Je suivais la courbe de mon organe, en douceur pour ne pas trop le stimuler. J'oscillais sur la fine frontière entre plaisir intense et orgasme violent.
Alors que la petite mort rôdait autour de moi, Etienne demanda :
– Prendre ma place t'intéresserait-il, à tout hasard ? Souhaites-tu essayer son cul ? Après tout, je t'ai préparé la voie, mais je suppose que Victor aimerait goûter à quelque chose de plus volumineux, le connaissant. N'est-ce pas, mon très cher ?
Un long gémissement fit office d'approbation. A quelques centimètres de moi, le minet brun bavait en observant mon corps de mâle, que je touchais autant que ma pine. Il désirait que je le chevauche, cela ne faisait aucun doute. Curieux de savoir ce que j'éprouverais en lui, j'acquiesçai tout en donnant une petite claque sur la joue du secrétaire. Je caressai son menton et lui susurrai à l'oreille :
– Alors mon p'tit gars, t'as envie d'te prendre un vrai mec dans l'fion ?
– Ooooooh ouiii ! Thomas, entre en moi, s'il te plaît ! Ahan !!! Elle est tellement grosse, ça doit être si agréable ! Ahaaaaan !
Etienne recula son bas-ventre tandis que je m'approchais. Je vis clairement son sexe ressortir de l'anus dilaté. L'organe bandait toujours autant, et luisait à la lumière des éclairs. Imaginer le conduit humide ne me donna que plus envie de m'y enfoncer. Le bourgeois blond ceignit ma taille avec son bras, et me proposa de me guider, pour cette première visite dans un homme – ce fut surtout une bonne excuse pour qu'il puisse tripoter à sa guise mon gros chibre, car même s'il ne l'admit pas, ma virilité l'excitait autant que son employé.
Celui-ci s'installa sur le dos, sur la couchette, car le navire tanguait trop pour que notre ébat se poursuive à même le plancher. Victor écarta ses cuisses et vint poser ses jambes contre mes épaules. Je roulai des biceps pour lui. Etienne toucha mes mamelons cuivrés – les baisa même à plusieurs reprises – et caressa mes abdominaux en prenant leur toison rousse à rebrousse-poil, pendant que j'insérais mes doigts dans le cul de son secrétaire, tout en suivant ses conseils. En un rien de temps, le trou me parut en mesure d'accueillir ma large virilité, que par ailleurs le minet réclamait en poussant de petits cris sensuels.
Le bellâtre, à côté de moi, empoigna ma grosse verge pour en placer la pointe sur la rondelle tendre. Il guida mon bassin, une main derrière mes reins. D'instinct, je cherchai à occuper mes doigts en saisissant d'un côté le sexe du brun, et de l'autre celui du blond. Leurs deux queues me semblèrent bien frêles en comparaison avec la mienne, mais peu importait, je les astiquai pendant que la douce chaleur d'un cul masculin enveloppait mon chibre. Le largueur de l'organe, ainsi que sa longueur, justifia que j'y aille en douceur. Même sur une femme, je n'avais jamais pratiqué le passage par derrière, et j'avouai sans pudeur à mes compagnons que je trouvais cela très plaisant.
Les muscles du rectum travaillaient mon braquemart. J'insérai ma lame dans un fourreau agréable, humide, qui glissait à merveille quand l'on combinait ma mouille et celle qu'il sécrétait. Quand mon pubis roux, en broussailles, percuta les cuisses du minet, Etienne estima que je connaissais assez bien le reste de la manœuvre. Il m'abandonna, afin de s'installer à côté de Victor. Il l'embrassa d'abord, puis se mit à genoux sur la couchette et lui présenta sa queue, que le minet dévora avidement, tout en réclamant mes premiers coups de boutoir.
Je les lui donnai sans me faire prier davantage. Je retirai une partie de mon gourdin, pour le renfoncer très lentement, histoire que le minet en rut sente chaque centimètre de ma virilité entrer en lui. Il gémit. Je pris ses tétons entre mon pouce et mon index, ainsi que sa queue dans mon autre main, et je le stimulai par tous les endroits possibles. Il s'en trouvait un particulièrement sensible, quelque part dans son cul, que je percutai accidentellement avec ma queue. Etienne, occupé à remplir la bouche de son secrétaire, m'expliqua à sa place qu'il s'agissait de la prostate. Je réitérai donc ma manœuvre, accélérant par la même occasion le rythme de notre coït.
Victor tressautait sur le lit. Il encaissait mon organe avec un plaisir non-dissimulé. Une bite dans la bouche, l'autre dans le cul, il appréciait la maestria des hommes qui s'occupaient de le satisfaire. Il ne tarissait pas d'éloges sur mon chibre, quand il parvenait à prendre la parole, entre deux succions. Mes bourses percutaient son fessier quelque peu arrondi, celles d'Etienne tapaient contre son menton quand il poussait son gland jusque dans sa gorge. Je découvrais les joies de la sodomie et, m'allongeant presque sur le svelte brun, je me surpris à embrasser son torse imberbe, à frotter sa pine entre mes abdos, et à utiliser mon organe comme jamais pour le conduire à la jouissance. Après un temps d'adaptation, j'entrais en lui comme dans une craquette pleine de mouille ; pourtant, je percevais clairement la différence avec une donzelle, et je n'en adorais que davantage la pénétration de ce boyau confortable.
J'allais et venais assez vite dans le cul de Victor. Ma large lance le pistonnait comme les vérins de ces machines que j'avais graissées, prêt de Manchester, à une époque ; l'industrie possédait à mes yeux la puissance phallique d'une pénétration qui ravageait nos vies pour le meilleur et pour le pire. A cet instant, avec mon vérin bien huilé dans le cul, Victor recevait le meilleur. Je manquai de lui remplir le rectum quand il se contracta. Il posa ses mains sur mes pectoraux et me caressa pour la énième fois. Trois giclées de sperme éclaboussèrent son ventre glabre et le mien, couvert de poils roux, drus, désormais maculés de jute.
Je me retirai sur l'ordre d'Etienne, qui s'approcha pour récolter le liquide que son secrétaire venait d'expulser. La pulpe de son doigt en préleva sur mon corps. Il le porta à sa bouche et s'en délecta. Il me proposa de l'imiter, mais je n'étais pas encore assez courageux – ou assez saoul – pour m'aventurer sur ce terrain, même si la sodomie m'avait plu. En revanche, je bandais encore comme un cerf en rut, de même que le beau bourgeois.
Malgré le roulis, Victor s'agenouilla entre nous et, tandis que je palpais la fine musculature de l'éphèbe blond, le minet mit derechef à notre service sa merveilleuse bouche, pleine de bonnes intentions. Le sexe court, dur et puissant d'Etienne expulsa une dose de sperme raisonnable sur le visage de son employé ; quand vint mon tour – car je fus un peu plus long à jouir – je lui aspergeai la face avec une copieuse dose de foutre. Quitte à profiter d'un dernier orgasme avant de rencontrer le Créateur, autant se purger entièrement les bourses. Mes rasades épaisses et blanches recouvrirent en partie le minois du minet.
– V'là une histoire que tu pourras ajouter à celles que t'as déjà, lui dis-je en baladant mon gland sur son visage pour y étaler ma liqueur de mâle. J'crois que tu la vis d'assez près pour qu'ce soit pas la peine que j'te la raconte.
Victor acquiesça en se léchant les lèvres, afin de ne pas perdre une miette de ma semence. Au moment où il rejoignit Etienne pour s'allonger contre lui, sur la couchette, il s'était déjà entièrement nettoyé, et mon foutre se trouvait à présent quelque part dans son gosier. Jamais mon gland n'avait été aussi bien lustré par une bouche.
Je remerciai à voix basses les deux hommes de m'avoir fait découvrir de telles pratiques. Les voir là, l'un contre l'autre, à attendre tranquillement que le navire sombre, me fit réaliser que leur lien particulier les protégeait d'une crainte que j'avais personnellement exorcisée par la boisson.
Comme dans un brouillard traversé par la foudre, je sortis hagard de l'instant d'éternité que m'avaient accordé les deux hommes. Je remis mon pantalon, mais restais torse nu, encore humide après la baise énergique à laquelle je venais de me livrer. Je pris le vin de messe, dans un coin de la cabine – la raison première de ma présence – et quittai les lieux sans un mot, afin de ne pas déranger le silence sacré dans lequel les deux amants nageaient ensemble.
Je gagnai les quartiers des officiers. Là, personne. Les gradés tentaient toujours de maintenir le navire sur son cap. Je m'assis dans un coin et bus en songeant au dernier plaisir de mon existence. Je ne le regrettai pas, bien au contraire. Le vin s'empara peu à peu de mon esprit à mesure que je revivais la dernière demi-heure. J'en aurais à nouveau bandé, si l'alcool n'était pas venu à bout de mes facultés physiques, une gorgée après l'autre. Je sombrai avant le Providence, en espérant que l'anesthésie suffirait à m'épargner les souffrances de la noyade.
Il n'y eut rien à atténuer, hormis peut-être le mal de crâne avec lequel je m'éveillai le lendemain.
Autour de moi, la nuit d'horreur touchait à sa fin, dans le bruit et les larmes. Partout, on écopait pour évacuer l'eau au plus vite. On me jeta un seau en pleine figure. Le sel, le métal et la douleur achevèrent me m'assurer que l'au-delà ne ressemblait pas à s'y méprendre au monde des vivants. La gueule de bois me valut un blâme, mais il n'était pas temps de punir ce qu'il restait de l'équipage pour ses débauches de la veille. A l'heure actuelle, on comptait les morts et tentait de rafistoler au mieux les dégâts matériels.
Qu'advint-il d'Etienne et Victor ? Ils n'étaient qu'un souvenir diffus dans ma mémoire. Je ne les revis jamais, ni ne cherchaient à savoir s'ils avaient passé la nuit. Les seules rémanences que j'eue d'eux remontèrent dans mes rêves, drapées dans nuées alcooliques qui ouataient mon esprit cette nuit-là.
Contre vents et marées, et en dépit d'une météo assagie mais peu clémente, notre embarcation décharnée entra finalement dans la baie de l'Hudson, une semaine plus tard. Nous passâmes, les yeux émerveillés, devant l'immense chef-d'œuvre de messieurs Bartholdi et Viollet-le-Duc et Eiffel. Le cuivre patiné de vert-de-gris s'accordait avec le temps sombre. La grande dame à l'air solennel nous observa, son flambeau levé vers le ciel, tandis que le Providence glissait sur les eaux paisibles des côtes américaines.
Au moment de débarquer, les autorités qui nous accueillirent écorchèrent mon nom, quand je leur dis « Thomas Welsh », avec un accent qui trahissait à coup sûr mes origines. « Irlandais, s'exclamèrent-ils. Encore un bon pour les usines. »
Mes fantasmes de liberté prenaient fin en cet instant, mais je ne m'en rendis pas de suite compte, sans quoi je serais remonté sans tarder à bord du Providence, pour descendre vers des terres plus accueillantes. Mais le rêve américain est en cela un rêve qu'il laisse une sensation éthérée de léthargie au moment du réveil, si bien que lorsque l'on comprend à quel point la réalité est cruelle, notre situation est telle qu'il faut s'en contenter, comme n'importe quel immigré dans un pays inconnu.
L'usine, de part et d'autre de l'Atlantique. L'usine, ce monstre de fer, dévoreur de charbon. L'usine, toute ma vie, derrière ce nom écorché de Thomas Wells. L'Irlandais immigré. Le travailleur. Le futur cadavre entre les rouages de la société industrielle.
Matt
matthieuGat@gmail.com
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