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Éveilleur

Chapitre -04

Le lendemain, au boulot, je n'avais plus le même entrain que la veille. J'arrivai dans les premiers et croisai notre PDG, Ella Comhat-Matterc. Elle me salua de son plus beau sourire. Je fondis. Son toutou de mari suivait de peu, des cartons de dossiers dans les bras. J'imaginais Franck se faire maltraiter par son épouse. Cela me satisfit.
Dans l'open-space, seul Dimitri se trouvait à son ordinateur, encore en train de retirer sa veste de costume.
- Théo ! Comment vas-tu ? me dit-il, enjoué.
- Bien, bien et toi ? mentis-je.
J'étais fatigué. Toute la nuit mon esprit avait alterné entre ma joie de revoir Benjamin et ma crainte qu'il découvre mon obsession. En tout cas, je voulais lui parler. Je m'en étais persuadé.
- Benjamin ne viendra pas aujourd'hui encore. Tu vas devoir encore me supporter, dit-il sur un ton humoristique.
Mes bras en tombèrent, branlant le long de mon corps. J'étais dépité.
- Désolé, s'excusa platement Dimitri, coupable.
- Non. Ce n'est pas toi. Qu'a-t-il ?
- Une gastro, il parait.
Dimitri me semblait suspicieux. Il y croyait autant que moi. À la différence que je connaissais la vérité.
La journée passa. Midi vint. Et je me dirigeai, Dimitri sur mes talons, vers la cafétéria. Assis à une table, mon plateau sous les yeux, j'entendais vaguement ce qu'il me disait, hochant la tête de temps en temps. Pourtant, j'étais ailleurs. Je repensais à la veille. À mon fantasme.
- Théo ? Tout va bien ? entendis-je.
Dimitri. Son regard bleu me perça.
- Très bien, pourquoi ?
- Tu n'as pas l'air dans ton assiette.
D'un doigt il me montra mes épinards, intacts. Sa boutade me fit sourire.
- Oh, si ! La fatigue, t'inquiète, le rassurai-je.
Nous retournâmes à l'open-space et passâmes devant les toilettes. Dire qu'avant-hier, j'y entrai avec Benjamin pour une suite des plus... humides. J'avais dès lors banni ces toilettes, préférant monter à l'étage du dessus, et me faire gronder par le service, plutôt que de me flageller. Sans énergie, je m'installai à mon bureau, Dimitri à mes côtés.
Et nous reprirent. Mon assistant se révélait bien plus efficace. Il mettait plus de coeur à l'ouvrage.
- Bon. Que se passe-t-il ? me dit enfin Dimitri.
- Rien, je te dis.
Il poussa les dossiers qui se trouvaient devant moi depuis plus d'une heure. Je n'avais pas avancé.
- Je le vois bien. Pas besoin d'être mentaliste. Des problèmes amoureux ? Un rapport avec l'absence de Benjamin ?
Je baissai la tête.
- Je lui ai prêté ma chemise avant-hier, ainsi qu'un pantalon. Il n'avait aucune grippe ni même de la toux. Il allait parfaitement bien.
Il avait choisi sa chemise plutôt que la mienne. Sans doute, car elle était encore imprégnée de son odeur ou par fétichisme. Porter un vêtement qu'on imagine porté par l'être aimé. Il n'y avait pas plus excitant.
Dimitri baissa alors la tête et vint chuchoter dans mon oreille.
- Je ne voudrais pas te mettre mal à l'aise, mais je vous ai vu rentrer ensemble et ressortir séparément.
Je le dévisageai, gardant mon sentiment d'effroi pour moi-même. Ma fatigue m'empêchait de penser correctement. Deux collègues qui vont aux toilettes ensemble et sortent séparément, quoi de plus banal ? Situation banale s'il n'y avait pas eu une telle suite. Aucun mot ne sortait de ma bouche.
- Ne t'en fais pas. Je ne me fais aucun film ! Juste que Franck a des yeux de partout...
Alors qu'il disait cela, il regardait autour de lui, comme si nous étions observés. Je le fixai, de marbre. Dans le bureau d'à côté, insonorisé par des murs de verre, Franck pianotait à son ordinateur, concentré, la sueur au front.
Lorsque je retrouvai la parole, je pus tenter de me défendre.
- Il ne se passe rien entre Benjamin et moi. Il a une petite amie. Quant à ma situation amoureuse, cela ne regarde que moi. Est-ce clair ? dis-je avec fermeté.
J'étais assez remonté. À la fois contre moi-même de m'être fait embobiner par Benjamin, contre lui de m'avoir donné de faux espoirs, mais aussi contre Dimitri qui allait probablement me faire du chantage, bientôt.
Non. Je ne pouvais le laisser faire. Au lycée, je frappais ceux qui osaient se moquer de mon physique de gringalet, avant que je ne me muscle et devienne celui que j'étais actuellement. J'ai toujours su me défendre.
Instinctivement, mon poing se serra sur le bureau. Si j'avais tenu une cuillère, celle-ci se serait tordue. Tel était l'effet de songer à mon passé. Je ne vis pas l'horreur grandir dans les yeux de Dimitri.
Je repris alors ma réflexion, partant du postulat qu'il allait me faire du chantage. Mes neurones étaient en ébullition. Aujourd'hui, dans un tel cadre, je ne pouvais lui mettre mon poing dans le nez. Je devais me battre avec des mots. Un autre niveau qui demandait un certain calme.
Soudain, je sentis une main sur ma cuisse. Je relevai le menton et lus dans son regard la peur.
- Détends-toi... chuchota-t-il.
Je me sentis bête.
- Tu es sous-tension en ce moment, n'est-ce pas ?
Sous ses sourcils marron orangé, ses yeux bleus me dévisageaient, inquiets. Dimitri n'était pas celui que je voulais croire. Je m'étais encore fourvoyé.
- Assez, dis-je.
Il frappa doucement ma cuisse, comme l'aurait fait un papa compatissant puis retira sa main, la laissant frôler l'entièreté de mon jean. Il reprit sa position face à l'ordinateur, mimant un prompt retour au travail. Quand soudain, il me fixa de nouveau, plus sûr de lui.
- Buvons un verre, ce soir. Chez moi. Demain c'est dimanche, on n'aura pas à s'inquiéter. Histoire de te sortir un peu, ajouta-t-il, en souriant.
J'étais gêné, mais j'avais besoin de changer d'air.
- Pourquoi pas.
- Super. 18 h ? Je t'envoie l'adresse ! s'enquit-il d'ajouter.
Puis il reprit son traitement de texte sur l'ordinateur, me laissant là, pantois.
Sur l'instant, je compris ce que Benjamin lui trouvait. Cette tignasse flamboyante attirait le regard sur son magnifique visage, très effilé, se terminant par un très joli menton. Il possédait une petite paire d'oreilles, presque trop petite, mais tout à fait mignonne à laquelle pendait, sur l'oreille droite, un minuscule écarteur. D'autres cicatrices d'anciens trous étaient visibles, sur le cartilage notamment.
Des sourcils parfaitement épilés supplantaient ses yeux bleus, tel le bleu du ciel en plein été, lorsqu'il n'y a pas le moindre nuage. Ils étaient encerclés par de longs cils, très longs, lui donnant un regard presque féminin. Alors que je l'observais du coin de l'oeil, je le vis fermer puis rouvrir au ralenti ses yeux.
Dessous, il possédait un nez aquilin. Ni trop fin. Ni trop épais. Ici aussi il possédait une cicatrice, invisible au commun, sans doute. Reste d'une époque où les piercings étaient à la mode. Cela m'amusait de l'imaginer en punk.
Sa bouche, assez large, frémissait. Il était concentré, pianotant frénétiquement sur son clavier. Sur sa lèvre inférieure, une nouvelle fois, une cicatrice. Aux coins de ses lèvres, des rides se formaient déjà, résultant d'une vie passée à sourire aux autres, très certainement.
Dimitri était quelqu'un de discret. Très gentil, adorable même, mais assez discret. Malgré le fait qu'il soit supervisé par l'un de mes collègues, nous ne nous étions jamais réellement parlés. J'étais moi-même taciturne. Pourtant, j'avais toujours apprécié l'observer. Il y avait une certaine finesse dans sa présence.
Je préférais travailler avec Marc, l'aîné de notre groupe, avec ses vingt-huit ans d'expérience dans la communication. Il n'aimait pas le terme d'ancien, considérant que c'était un mot presque insultant. Je pouvais le voir, au loin, à proximité du bureau de Franck. Comme à son habitude, il devait mater du porno sur son poste de travail, chose impossible à la maison avec son épouse et ses trois enfants. Parfois on le voyait s'absenter un moment aux toilettes des managers.
Il n'avait plus un poil sur le caillou, revendiquant un choix personnel et non une obligation. Toutefois, à en juger par ses sourcils blancs, je me doutais que ses cheveux n'auraient pas eu une couleur suie. Peut-être cendré. Il était assez attirant, dans la mesure où il faisait la parfaite figure paternelle.
Lui et Franck se connaissaient bien et étaient de la même trempe. Des beaufs. Toutefois, Marc ne rabaissait pas les autres pour avancer. C'était lui qui m'avait introduit puis pris sous son aile au sein de l'entreprise. Pour cela, je le remerciais presque tous les jours, tacitement.
Il y avait d'autres personnes sympathiques autour de moi, telles que Sébastien, âgé d'une trentaine d'années, arrivé deux ans avant la mienne. Brun aux yeux verts, il était homosexuel assumé. Franck ne l'embêtait plus depuis qu'un midi, à un barbecue, Seb' l'avait dragué avec insistance au point de l'effrayer. Depuis, leurs relations n'étaient plus que courtoises. Seb' m'avait confié qu'il n'avait fait cela que pour l'embêter.
Puis il y avait Sophie, à l'entrée du bureau. Franck se moquait toujours de son rôle de secrétaire, mais elle lui était indispensable. Sans elle, il ne savait pas organiser sa journée ni ses rendez-vous. Une véritable ouvrière, discrète.
Ses cheveux bruns étaient noués en queue de cheval, par un chouchou de fillette. Elle portait toujours une chemisette fermée jusqu'au cou, ce qui n'empêchait pas de dévoiler ses formes généreuses.
Je l'avais connu avant sa grossesse. Elle était alors banale. Fine, presque squelettique, on se demandait où sa petite allait pouvoir se loger. D'après Franc qui l'aurait entendu de son épouse, Sophie aurait pris pas moins de quinze kilos en portant son enfant et, d'un point de vue masculin, elle ne s'était qu'embellie.
Des joues pulpeuses, un sourire sincère et surtout une gaité naturelle qui s'était amplifiée depuis son retour de congé parental. Cette femme était une véritable perle. J'essayais de lui rendre au mieux.
La journée passa rapidement, après ma conversation avec Dimitri. Je devais bien avouer que j'étais enchanté, bien qu'un peu gêné. Qu'allait penser Benjamin ? Même s'il n'allait strictement rien se passer, Benjamin savait pour ma bisexualité. Il allait certainement penser au pire.
Avant de partir, à 16 h, je saluai tout le monde, lui en dernier. Il me tint longuement la main et plongeant son regard bleu dans le mien, comme pour vérifier que je n'allais pas me défiler. Je n'étais pas comme Benjamin. Toutefois, vis-à-vis de lui, je ne savais pas encore de quelle manière réagir.
Soudain, je balayais toutes mes interrogations d'un revers de main, ennuyé.
" Premier arrivé, premier servi. " Me rassurai-je, ne me croyant pas moi-même.
Je rentrai tout de même chez moi me préparer et passa au supermarché prendre une bouteille de vin ainsi qu'un dessert. Un fraisier richement décoré. Ce soir-là, je portai une jolie chemise mettant en valeur mes pectoraux. J'avais également coiffé mes cheveux avec de la cire. Qu'est-ce qu'il me prenait ? On aurait dit une pucelle.
Je sortais rarement à vrai dire, hormis pour mes éveils occasionnels. Alors me rendre chez un collègue se trouvait être une réelle bouffée d'air frais.
Dimitri vivait dans un petit studio de banlieue, au milieu d'une cour de platanes. Un chemin en gravier menait à l'entrée. Je croisai une mamie qui me dévisagea, tel un intrus pénétrant sur son territoire. Le fraisier sur une main, la bouteille dans l'autre, je la saluai d'un mouvement de tête.
- Amusez-vous bien ! me dit-elle d'une voix amusée.
Et elle trottina jusqu'à sa vieille twingo d'un vieux bleu. Étonné, je restai un moment, puis continuai ma route. Je jetai alors un coup d'oeil au bâtiment, assez vieux. Il y avait au moins cinq étages en comptant le nombre de fenêtres.
Alors que je m'apprêtais à passer la porte de l'immeuble, une voix venant du rez-de-chaussée m'interpela.
- 69.
Je me tournai vers la gauche et vis Dimitri, assis sur le rebord de sa fenêtre. Il portait une élégante chemise. À une de ses mains, une manique, comme s'il avait sorti quelque chose du four.
- Pardon ?
- 69. Le code d'entrée. Certains ont de l'humour.
- Ah ! D'accord, merci.
J'étais gêné. Étrangement gêné.
- À moins que tu ne préfères emprunter la fenêtre ? Cela donne un style aventurier.
- Je l'aurais bien fait, mais je suis chargé, ironisai-je en déployant mes bras.
- Allez, je rigolais. Insère le nombre 69 et rentre. Première porte à droite. Je t'attends.
Je pianotai alors ce code des plus cochons et poussa la lourde porte pour pénétrer la résidence. À gauche se trouvaient les boites aux lettres. À droite, sa portée d'entrée. Poliment, même s'il m'attendait, je frappai. Il me demanda d'entrer.
À l'intérieur, il m'attendait à côté d'un portemanteau sur lequel il m'intima de déposer le pull que je portais croisé autour de la taille. Puis il me fit la bise. Il sentait bon. Il prit ensuite le vin rouge et le gâteau, qu'il emporta au frigo, me laissant seul.
L'entrée était sobre. Un meuble dans lequel se trouvaient de nombreuses chaussures ainsi que des mules. Certaines étaient vraiment affreuses. Sur le dernier étage se trouvaient de magnifiques chaussures vernies, à talons ainsi qu'une paire de bottines. Je me mis à ricaner, dans mon coin, ce qui interpela Dimitri.
- Oh. Elles appartiennent à ma grand-mère. Je vis avec elle. Tu as certainement dû la croiser, elle est partie rejoindre mon petit frère, qui loge encore chez mes parents, afin d'y dormir.
Je me sentis soudainement bête. J'avais réellement l'esprit déplacé alors qu'il n'était qu'un petit saint.
- Tu vis depuis longtemps avec elle ?
- Elle fait des crises de somnambulisme depuis le décès de mon grand-père sauf qu'elle a quelques difficultés à marcher. Elle s'est plusieurs fois blessée alors nous avons emménagé ensemble. Elle reste très autonome.
Un petit saint, je disais. Ses yeux bleus pétillaient alors qu'il parlait de sa tendre grand-mère. Je jetai alors un oeil à sa main, toujours enveloppée par la manique.
- Que nous as-tu préparé ? ris-je.
- Oh, moi, rien. Je suis une catastrophe en cuisine. Ce sera ma grand-mère qu'il faudra remercier. Elle m'a laissé des instructions ainsi qu'une heure à laquelle sortir sa tarte.
Il m'invita ensuite à m'installer dans le salon. Sur une petite table en bois, il déposa des biscuits apéritifs ainsi que de l'alcool. Je pris de la bière, me réservant le vin pour le diner. Là, assis l'un en face de l'autre, nous nous mîmes à discuter de banalités sans nom. Le courant passait parfaitement.
Nous nous parlâmes de nos gouts cinématographiques puis littéraires, étrangement similaires. Lui aussi aimait s'installer dans son canapé et passer des journées entières sur ses séries, sur ses films. Cela faisait longtemps que je ne l'avais pas fait, mais je me souvenais parfaitement de ce sentiment. Le sentiment de disparaitre du monde actuel. De s'effacer.
Il partagea mon sentiment, amusé.
Nous passâmes finalement à table. La tarte, une tarte à la tomate, était sincèrement délicieuse. L'association du fin gout de moutarde, d'herbe de Provence, ainsi que du vin dans mon verre me créa une sorte d'orgasme gastronomique. Sa grand-mère avait passé sa vie à cuisiner pour son époux, me raconta-t-il, et s'était ainsi approprié de nombreuses recettes.
- Au lycée je venais deux après-midis par semaine afin qu'elle m'aide à m'améliorer. Ma mère travaillant tard le soir, j'aimais essayer de lui préparer de petits plats.
- Et ça a fonctionné ?
Ses yeux se plissèrent. Un sourire lui crût. Il étouffa un petit rire. Si mignon. Et il but son verre de vin d'une traite, avant de le poser avec fracas sur la table.
- Pas le moins du monde ! Je suis toujours un désastre.
Et nous rîmes. Il était modeste en plus. Sans complexe apparent. Nous nous resservîmes, encore et encore. Ma bouteille y passa. Il alla en chercher une autre. Un meilleur cru. Différent, plus fruité, mais tout aussi bon. La moitié de la bouteille disparut sans que nous ne nous en rendions compte.
- À quel lycée étais-tu ? demandai-je, curieux.
- Victor Hugo, pas loin d'ici.
- Toi aussi ?! m'exclamai-je, étonné.
Ainsi nous partîmes sur nos souvenirs, sur ses professeurs, dont certains nous avaient été communs, sur le vieux gymnase duquel, les jours de pluie, l'eau ruisselait dans les vestiaires. Nous ne nous y étions jamais croisés, ayant trois ans de plus que lui, mais l'idée que nous ayons foulé les mêmes pavés m'amusait.
- Et tes amis de lycée ? Tu les vois encore ? me demanda-t-il.
Difficile question. Je jouais avec des miettes dans mon assiette.
- Non. Plus tellement. Une est partie au Canada, nous appelons pour les anniversaires et les grandes fêtes et elle revient une à deux fois par an. Un autre se trouve en Afrique. Et moi, ici. Seul.
J'étais quelque peu mélancolique. Quand je vis qu'il compatissait à ma peine, sans me prendre en pitié, je lui retournai la question.
- Moi non plus. Je n'ai jamais eu beaucoup d'amis.
- Pourquoi cela ?
La solaire bougie qu'il était se ternit brusquement. Alors qu'il avait passé la soirée à sourire, à rire, il se renfermait.
- Pardon. Je ne voulais pas aborder un sujet compliqué, m'excusai-je.
J'avais mis les pieds dans le plat, visiblement.
- Non. Ne t'en fais pas. Peut-être devrais-je en être fier. Je ne sais pas.
Je le vis tourner des yeux, serrer ses bras contre lui comme pour se rassurer.
- Si je t'en parle, là, tu vas vouloir partir. Et je passe une merveilleuse soirée, Théo. Et je ne t'ai pas fait venir pour ça, il n'y a aucun lien, je te le promets. Je voulais juste te remonter le moral et... Oh, j'ai trop bu, bafouillait-il.
- Voyons. Tu m'as entendu rire. Quoique tu me dises, promis je ne partirai pas.
Je mimai alors une croix sur mon torse.
- Je suis pédé, Théo, m'avoua-t-il.
Ce terme me donna des frissons. Il avait la même consonance que PD, l'insulte. Or, à ce moment-là, je ne savais pas s'il mentionnait l'insulte, et se détestait, ou simplement sa condition d'homosexuel. Je ne le connaissais pas assez pour en parler.
Je choisis de répondre simplement, comme s'il était l'un de mes éveillés.
- Je te remercie pour ta confiance. Cela me touche. Sache que je n'ai aucun problème avec ton orientation.
Il releva alors la tête, émerveillé. Ses yeux bleus étaient embrumés.
- Ah oui ? Vraiment ?
- Oui.
Quelque chose m'empêchait de lui parler de ma propre orientation. Je n'aimais pas l'exposer.
Je n'étais pas ceux qui avaient fait un coming-out. Je respectais ce besoin d'affirmation de soi et d'émancipation, mais ne l'appliquais pas sur moi-même. Partant du postulat que nous étions tous égaux, tous équivalents, annoncer cela de but en blanc, sans introduction, revenait, selon moi, à annoncer que nous avions mangé une pomme au goûter. Cela n'était plus supposé choquer personne, mais sans contexte, cela n'avait aucune utilité. A mon sens, évidemment.
Ici le contexte y était et, en guise de geste compatissant, je me fis violence pour parler de ce sujet que je trouvais banal. Je n'en faisais pas une fierté, ni une honte. Une simple norme. J'étais normal.
- Je respecte ta confiance, car il se trouve que je suis moi-même bisexuel.
Je l'avais dit. Les mots m'étaient venus. Dimitri ne semblait pas en revenir, me dévisageant, la bouche ouverte.
- Je... Comment ? Tu aimes les deux sexes ? Dis m'en plus.
Je n'affectionnais pas parler de ma personne, surtout de ce sujet. Sans réellement savoir pourquoi. Peut-être le trouvais-je sans intérêt.
- J'aime les deux genres, oui. Je ne saurais t'expliquer. Cela se passe, voilà tout.
- Et tu as des préférences ?
Les questions étaient basiques. Ordinaires. Je tentais d'être évasif.
- Non. Cela vient. Parfois une femme me plaît et je vais tenter de créer quelque chose. D'autres fois ce sont des hommes. Je préfère parler de personnes. J'aime des personnes. J'ai des relations sexuelles avec des personnes, clarifiai-je.
Je réalisai que j'en avais peut-être trop dit. Dimitri posa sur moi son regard bleu. Un regard rempli d'incertitude. Un étrange regard. Qu'avait-il en tête ? Des possibilités me vinrent en tête.
- Et... ma personne ? As-tu envie de moi ? murmura-t-il, audacieux.
Je lui souris, amusé. J'admirais son courage de poser une telle question à une personne dont il venait d'apprendre la compatibilité sexuelle. Un mouvement risqué.
- Que cherches-tu Dimitri ? L'amour ? Le sexe ?
C'était deux choses fondamentalement différentes. On pouvait aimer sans relation sexuelle. Tout comme avoir une relation sexuelle sans aimer. Ou les deux en même temps, ce qui était plus rare. Je me demandais s'il avait cette vision d'esprit.
- Je ne sais pas, avoua-t-il, avec une mimique amusée.
À cet instant, j'eus envie de jouer. Il m'avait provoqué. Je n'allais pas me laisser faire.
Mes pensées prirent une étrange tournure. Je l'imaginais, étendu dans un lit, nu, avec quelques poils roux sur le corps, une position obscène. Soumis. L'idée me plut fortement. Je me levai alors de ma chaise, la faisant grincer sur le parquet.
Ce qui me plaisait davantage, c'était d'accéder à quelque chose que Benjamin n'avait pas, une facette de Dimitri qu'il ignorait. Si Dimitri aimait les hommes, Benjamin avait toutes ses chances. Il devait toutefois agir vite. Et, grâce à mon expérience, j'étais plus rapide. Je voulais être le premier.
Peut-être étais-je un connard. Je me sentais être un connard. Je volais l'être convoité d'un camarade, s'il était un tantinet possible de voler une personne à une autre, sous son nez. En amour, en sexe, il n'y avait pas de possession. Il n'y avait que des décisions, des décisions prises par deux partis. Un consentement qui se devait être commun.
Si, ce soir, je faisais craquer Dimitri, il serait mien. Et j'aurais gagné ce duel. Un duel dont mon adversaire n'avait aucune connaissance, par ailleurs. Difficile d'être dans ma tête.
Je m'approchai de Dimitri. Il regardait droit devant, toujours assis.
- Que veux-tu ? répétai-je.
Je le dominai de ma hauteur. Il leva ses yeux bleus sur moi. Nul doute ne s'y lisait.
- Tu me plais, souffla-t-il.
Il se redressa lentement et vint placer son visage à trois centimètres du mien. Un souffle chaud parcourut mes lèvres, mes narines. J'eus un mouvement de recul, étonné. Un sourire crût sur ses lèvres.
Il avait une tête de moins que moi, mais son aura semblait me dominer. Il essayait. Debout, face à moi. Une main sur la table, je tentais de maintenir ma position d'alpha. J'avais reculé d'un pas, mais voilà qu'il diminuait à nouveau la distance entre nous. À nouveau, nous furent à moins de cinq centimètres l'un de l'autre.
À mon grand étonnement, je fus attiré à lui. Il sentait bon. Ma bouche s'approcha de lui. Je voulais l'embrasser. Il tourna le visage au dernier moment, m'offrant sa nuque. J'inspirai de nouveau. Du parfum. Un parfait mélange, saupoudré d'une fine odeur de cèdre.
J'étais maintenant à un minuscule centimètre sa la peau de son cou. Si je me concentrais, je sentais le sang pulser, sa chaleur émaner de son corps. Je voulais le dévorer. J'en profitai. Je le humai, inspirai, m'enivrai de ces saveurs fraîches. Je repris le contrôle de moi-même, glissant mon souffle le long de son cou, en direction de son visage.
Il frémit lorsque je passai sur son oreille, et se plia dans ma direction. Ainsi, je mis un terme à notre danse enflammée et conclue notre échange par un baiser.
Désormais, mon beau Benjamin, Dimitri était mien.

Bonjour ! Pour tout renseignement, contact privé, remarques, avis ou autre, je vous invite à m'écrire à l'adresse mail suivante : eveilleur1999@laposte.net. N'hésitez pas, j'apprécie tous messages.
J'espère sincèrement que vous prendrez plaisir à suivre cette histoire que j'en ai à l'écrire ! À bientôt.

Alex

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