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Saison 2 | Chapitre 3
Je n’ai évidemment pas dormi de la nuit.
Mon cerveau a été en boucle sur mon entretien de ce matin. Sérieux qu’est ce que je vais pouvoir leur dire… J’ai cherché pendant des heures comment expliquer cette situation, une réponse qui contournerait le règlement, mais il n’y en a pas…
Il est très tôt mais je me lève. Je crois que mon corps a besoin de se mettre en mouvement, comme s’il voulait conjurer la panique qui semble bien décidée à me paralyser. Il n’est pas 7H30 quand j’arrive à l’hôpital. Je vais aux vestiaires poser mes affaires. Et il est là devant la porte putain…
- Putain Mika… faut vraiment qu’on parle, c’est trop important là…
- Casse-toi sérieux !
- Woh t’es teubé ou quoi ?? Ils sont venus me voir hier !! Tu t’en branles qu’on soit pas raccords sur ce qu’on leur dit ?!
Je soupire. Ce qu’il dit semble avoir du sens, ou pas, j’en sais rien…
- Retourne dans ta chambre. J’arrive…
Je range mon sac à dos et ma veste. Je me regarde dans le miroir et sérieux, j’ai vraiment une gueule de déterré, j’ai les yeux éclatés.
Putain j’ai pas envie de lui parler.
De toute façon quelle version on pourrait leur donner pour régler les choses ?
Malgré tout je me dirige vers sa chambre. Il m’attend assis sur son lit. Je referme derrière moi. Il se lève avec ses béquilles et se rapproche de moi. Je tends la main pour le tenir à distance.
- Putain bébé comment ça va ? J’avais pas de nouvelles et personne voulait rien me dire… j’étais comme un ouf putain ! je suis désolé bébé, je te jure, je suis désolé !!
- Tais-toi Hakim ! Arrête ça !!
À chaque « bébé » qu’il me balance, j’ai envie de lui en coller une.
- Mais écoute moi je (…)
- Nan ! Le comité ? Qu’est-ce qu’ils t’ont demandé ?
Il me fixe. Manifestement il s’attendait à ce qu’on ne parle pas que du comité…
- Pour commencer, ils m’ont demandé ce qui s’était passé avec l’autre là…
Il a dit ça presque timidement. Et moi je peux plus soutenir son regard. Il poursuit.
- Je leur ai dit qu’elle m’allumait depuis un moment et qu’avec le manque bah… que j’avais craqué !
Je me retourne face à la porte, je ne suis vraiment pas prêt pour qu’il me parle de ça là.
- Bébé faut que je t’explique pourquoi
- Nan Hakim !! Le comité ! Je suis là pour le comité !!
Je l’entends souffler.
- Après ils m’ont parlé de toi… ils m’ont demandé pourquoi t’avais réagi comme ça, ta crise et tout… et aussi pourquoi t’assurais plus ma rééduc… du coup je leur ai dit qu’il y avait quelque chose en nous…
Je lui fais de nouveau face. Alors ils savent tout c’est fini.
- T’as voulu enfoncer le clou quoi !?
- Putain bébé… arrête… là je comprends que tu sois vénère contre moi, mais j’essaie de te sauver la mise là, tu vois pas !?
Je n’en crois pas mes oreilles.
- Me sauver la mise ?? À cause de qui je me retrouve dans cette merde Hakim ?!
Il prend manifestement sur lui, partagé entre ses nerfs fragiles et les limites que je lui impose.
- Ils m’ont demandé si on avait une liaison… s’il y avait eu rapport sexuel ici ou en dehors de l’hôpital… ce genre de trucs…
C’est clair que je vais me faire retirer le droit d’exercer…
- Et ? Qu’est-ce que tu leur as dit ? Que tu m’avais bien niqué à tous les niveaux ?
- Arrête bébé… putain dis pas de conneries là !!
- Qu’est-ce que tu leur as dit ??
- Bah qu’il s’est jamais rien passé tu crois quoi !?
- Et ils ont pigé quelque chose à tout ça ?
- Bah ça a dû leur sembler chelou, ils ont creusé encore… Du coup comme je t’ai dit, je leur ai expliqué qu’il y avait un truc entre nous, mais que t’avais toujours refusé qu’il se passe quoique ce soit entre nous tant que j’étais ici, qu’on s’était dit qu’on attendrait ma sortie pour voir comme ça se passerait, et que du coup, ça avait dû te blesser de me voir avec elle…
Je tiens plus en place. « me blesser »… pourquoi tu n’y as pas pensé avant sale con ? Sérieux tout ça est tellement invraisemblable…
- Après ils m’ont demandé si je considérais avoir subi un harcèlement de ta part. Si t’avais eu des gestes déplacés, ou des paroles, et si je pensais que ma rééduc avait pu être compromise à cause de ça.
Je sais même plus quoi dire.
- Évidemment je leur ai dit que non !! Que t’avais toujours été pro, que t’avais toujours refusé mes avances…
- Ouais… c’est tellement ce que j’aurais dû faire en vrai…
- Allez bébé dis pas ça, s’il te plait… Sérieux, faut qu’on parle de ce qui s’est passé…
Je le regarde dans les yeux, ses yeux de tricheur…
- J’ai rien à te dire.
- Moi si putain !! Faut que je t’explique sérieux…
- J’imagine que t’as certainement mis au point une autre super explication, bien débile, mais je m’en branle tu vois…
Et je me casse en claquant la porte, et en entendant le bruit de la béquille qu’il a dû balancer.
Forcément quand un truc désagréable nous attend, le temps passe à une vitesse folle. Je suis donc devant la porte de la salle de réunion.
Je vois que Perez est avec le comité. J’attends, je prends mon mal en patience. 11H05. 11H10. 11H15. 11H20.
J’ai l’impression d’attendre pour monter à l’échafaud.
Enfin la porte s’ouvre. Le professeur sort, le visage fermé.
- Ils t’attendent.
Comme déconnecté de mon corps j’entre et je referme la porte.
- Bonjour Monsieur T. .
- Bonjour.
- Asseyez-vous.
Et je prends place face à eux. À gauche le vieux qui fait semblant de dormir, au centre la meuf qui était carrément agressive hier, et à droite un autre vieux, qui parle que pour poser des questions à la con.
C’est lui qui prend la parole en premier.
- Bon. On ne va pas tourner autour du pot. Il faut que nous réglions cette situation au plus vite. Nous nous sommes entretenus avec le personnel du service ainsi qu’avec Monsieur M., il ne nous manque que votre version des faits.
Un silence pesant s’installe. Je ne dis rien. La vieille s’excite.
- On vous écoute !
Je prends une profonde inspiration.
- Je ne sais pas quoi vous dire… j’ai créé trop de lien avec lui… je n’aurais pas dû…
- Quelle est la nature exacte de votre relation ?
- Je ne sais pas…
- Je crois vous avoir dit qu’on n’avait pas de temps à perdre ! Est-ce que vous mesurez seulement la gravité de la situation ?? Que ce soit pour vous et pour cet hôpital ??
Sans trop savoir pourquoi, je décide de faire confiance à Hakim…
- Il ne s’est rien passé entre nous. Il y a quelque chose, c’est certain, c’est plus qu’un patient, mais il a toujours été clair qu’il devait ne rien se passer entre nous tant qu’il serait ici…
La vieille m’enchaine.
- C’est bien beau cette histoire !! C’est aussi ce qu’il nous a dit !! Mais comment expliquez-vous votre réaction après l’incident avec cette infirmière s’il n’y a rien entre vous ??
Je la regarde dans les yeux. « L’incident »…
- Je crois que je viens de vous dire qu’il était plus qu’un simple patient. Et ce n’est pas parce qu’il ne s’est rien passé entre nous que je ne ressens rien pour lui…
Elle continue.
- Vous comprenez que nous ayons du mal à discerner les faits avec précision ?? Si nous laissons votre cas de côté quelques instants, qu’en est-il de l’hôpital ? Vous ne prenez plus en charge sa rééducation, qui nous assure qu’il ne nous intentera pas un procès pour défaut de soins ??
C’est donc surtout ça qui les fait flipper.
- Il va être pris en charge par un autre kiné dès lundi.
- Et vous pensez vraiment que cela répond à ma question ??
- À vous de me le dire…
- Ça suffit !!! Je ne pense vraiment pas que vous ayez conscience de la gravité des raisons pour lesquelles vous vous trouvez devant nous aujourd’hui !!! Alors je vous conseille de faire disparaitre cette fichue arrogance immédiatement !!
On se toise quelques instants. Je sais qu’elle kifferait que je baisse les yeux. Elle peut rêver.
- Vous me demandez l’impossible.
- Comment ça ?? Qu’est-ce que vous voulez dire ?
- Vous me demandez une garantie qu’il m’est impossible de vous fournir. Moi, je sais qu’il ne fera pas de procès, mais rien de ce que je peux vous dire ne pourra vous l’assurer.
Elle claque son stylo sur la table, elle s’agite de plus en plus.
- C’est un peu facile comme réponse vous ne croyez pas ??
Ça commence à me souler en fait… j’en ai marre…
- Qu’est-ce que vous voulez au juste ?? Ma démission ??
Aucun des 3 ne répond.
- Ou vous préférez peut-être faire en sorte de me retirer le droit d’exercer ? Pour avoir bonne conscience et garantir la réputation de cet hôpital ?
Je dois vraiment les prendre au dépourvu parce que tous restent muets. J’en ai assez. Je me lève. Le vieux de gauche se « réveille ».
- Asseyez-vous Mickaël !!
- Non !
Il semble un instant choqué.
- Non je vais pas me rassoir !! C’est bon ! Depuis le départ vous cherchez à me coincer sur quelque chose !! Je me suis plié à vos tests et vos évaluations sans rien dire !! Quand a-t-on parlé de mes résultats ?? Qui en a de meilleurs que moi ici ?? Vous le savez ?? Non ?? Je vais vous le dire moi : personne !! Et qui de vous sait ce que ça me coûte de venir ici chaque matin ?? D’assurer mes consults jour après jour ?? De devoir avoir mal juste pour me tenir debout normalement ? Non ? Ça non plus ça ne rentre pas en ligne de compte !! Alors oui je me suis attaché à un patient !! Ça non plus, vous ne savez pas ce que ça a pu me coûter !! Vous n’en savez rien !! Mais moi ! Je le sais !! Tout comme je sais que votre précieux hôpital ne risque rien !
Les 3 me regardent les yeux ronds.
- Vous savez quoi ? Le Professeur Perez aura ma démission sur son bureau demain matin à la première heure. J’arrête.
Je me dirige vers la sortie. J’entends bien un « revenez ici » dont je me bats total. Ça suffit. J’en ai marre de devoir me battre pour tout et n’importe quoi…
Je ne prends même pas la peine de manger, je pourrais ne rien avaler de toute façon, je remplis quelques dossiers pour m’occuper l’esprit et j’enchaine mon aprèm de la même manière, mécaniquement.
Je rentre chez moi. Je mets vite fait un plat cuisiné au micro-ondes et je sors mon pc pour taper ma lettre de démission.
Je ne m’emmerde pas et je prends un modèle sur le net que j’adapte à l’arrache. Imprimé. Dans une enveloppe. C’est fait.
J’en ai assez. Je suis fatigué. J’ai plus la force.Je veux juste qu’on me foute la paix.
... et j’abandonne.
Mickaël
one.mik.kal@gmail.com
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