Première saison | Épisode précédent
Saison 2 | Chapitre 1
- Mickaël ça va ?
- Ouais…
- Tu ne te souviens pas de ce qui s’est passé ?
J’ai la tête en vrac. Mon corps est engourdi. Pendant quelques secondes je me demande si je ne me réveille pas juste après l’accident, en mode sortie de mauvais rêve… Pendant quelques secondes j’espère à fond avoir rêvé tout ça… mais non… cette merde est bien réelle… Je hoche la tête, pas certain de comprendre pourquoi il est aussi agressif avec moi.
- Ta jambe, ça va ?
- Ouais…
- Tu n’avais jamais eu de crise comme celle-ci… tu sais ce qui a pu la provoquer ?
- Nan…
Le professeur Perez se lève, je ne l’ai jamais vu aussi en colère.
- Ah bon ?? Tu es bien sûr que tu ne le sais pas ??? Pourtant la moitié de l’hôpital est au courant de ce qui t’a fait faire cette crise ce matin !!! Merde Mickaël, mais à quoi tu pensais ?? C’est ton patient !!! Tu sais ce que tu risques ?! J’ai tout fait pour toi ! Pour que tu reprennes ta formation, que tu te sentes bien ici avec nous, que tu puisses te sortir de cet accident avec le moins de dommages possible !!! Et toi tu fous tout en l’air !?! J’avais confiance en toi !!
Je détourne ma tête lourde et cotonneuse, la honte que je ressens forme une boule qui me retourne l'estomac. J’ai été tellement con putain, il a raison… J’ai agi comme un gosse inconscient et ingrat, au mépris de tout ce qui a été fait pour moi… je ne mérite certainement pas qu’on se soit donné autant de mal…
- Tu vas prendre quelques jours pour te reposer et récupérer, repenser à tout ça et quand tu vas revenir tu vas te débrouiller comme tu veux, mais je ne veux plus entendre parler de ce merdier !!!
Je suis donc autorisé à prendre le reste de la semaine, avantage de mon handicap, semble-t-il. Je rentre chez moi, dans cet appartement maudit… je le déteste… Je devais y vivre avec Alex… on s’y voyait tellement… Mais au lieu de ça, il a été aménagé pour m’accueillir seul, sans lui, et avec une jambe en moins… À présent il est rempli de souvenirs que je voudrais oublier… Hakim est venu bien trop souvent pour que je sois en mesure de ne pas penser à lui dès que je suis dans la cuisine, où j’ai tant kiffé cuisiner pour lui, la salle de bain, où il m’a appris à ne plus avoir de pudeur, le salon, qui a abrité nos discussions, nos jeux, et la chambre putain… comment il a pu être capable de me faire me sentir à nouveau désirable et me faire ça après… Son rire résonne partout, tout comme le bruit de ses béquilles… putain même ça, ça me donne envie de chialer… En fait je crois bien que c’est cet appart qui me déteste en vrai…
Je passe donc ces quelques jours coupé du monde, à essayer de comprendre comment j’ai pu être aussi abruti, comment j’ai pu croire que ça avait une chance de marcher avec lui… Putain pourtant je sais dans quel état on peut être après un tel traumatisme, on cherche à donner du sens à tout et n’importe quoi, et peu importe les raccourcis ou les mensonges que ça implique… On cherche à tout prix des réponses à ces « pourquoi » qui nous harcèlent, à ces « comment ce sera maintenant » qui ne nous laissent jamais tranquilles, mais qui se contentent de la première explication venue, même si elle est réductrice ou complètement biaisée… Sauf que je dois bien admettre que je suis moi-même toujours dans cette phase-là, et j’ai moi aussi choisi la facilité en voulant croire que notre jambe perdue pouvait nous rapprocher et nous lier de cette façon… Pourtant il avait l’air tellement sincère… comment on peut tricher comme ça sérieux… je n’arrête pas de repenser à ce dimanche matin, où il me regardait dormir. J’ai ouvert un œil et j’ai tout de suite capté son sourire. Pas juste un sourire poli nan… ce genre de sourire qui illumine un visage, qui anime des yeux d’un éclat juste magique… comment on peut feindre un sourire comme ça… Et c’est comme ça qu’au fil des jours, au lieu de m’apaiser et prendre un peu de hauteur, ma colère et ma rancoeur ont grandi, et se sont nourries du vide dont elles ont pris la place.
Je ne suis allé acheter un nouveau portable que le samedi, et uniquement parce que j’en avais besoin pour bosser. Ça ne m’a pas du tout manqué de pas recevoir un million d’appels et de messages ni de me demander à chaque notification si c’est lui ou pas qui m’appelle ou m’écrit. J’en ai profité pour changer de numéro au passage, parce que même si je ne sais pas encore comment je vais gérer ni comment mon retour à l’hôpital va se passer, je sais qu’il ne fera pas partie du programme.
J’arrive ce lundi matin le ventre noué. Je ne peux pas m’empêcher de repenser qu’il y a une semaine j’arrivais ici d’une humeur de ouf, trop heureux d’attaquer la dernière phase de sa rééducation, et que j’ai au final passé ma pire journée depuis l’accident. Je me rends au bureau de Perez directement.
- Bonjour Professeur…
- Bonjour Mickaël. Comment te sens-tu ?
Il reste très froid.
- Mieux merci…
- Toutes tes consultations n’ont pas pu être assurées, je te laisse reprendre tes dossiers et gérer ton retard. Tu trouveras les dossiers de 11 nouveaux patients, j’ai pensé que ton comportement méritait que je n’aie pas à me creuser la tête pour les dispatcher. Tu devras aussi assurer les séances les plus urgentes d’Armand durant ses congés.
- Très bien je comprends…
Je vois le dossier d’Hakim sur la pile.
- Et pour…
- Monsieur M. ? C’est le seul patient dont tu pourras te délester. J’ai échangé avec Armand et il est prêt à le gérer à son retour de vacances la semaine prochaine. Moi je ne veux plus en entendre parler. Tu peux y aller !
- Et pour le comité…
Il me regarde par-dessus ses lunettes en soupirant.
- J’ai fait de mon mieux pour te sortir de cette mauvaise passe, mais je dois avouer que la situation soulève beaucoup d’interrogations… mais pour l’instant ne pense pas à ça. Va travailler !
- Je vais perdre le droit d’exercer c’est ça ?
Cette fois il retire ses lunettes brusquement.
- Écoute Mickaël !! Je ne sais pas !! Tu vas être convoqué prochainement pour t’expliquer, je n’en sais pas plus. Pour l’heure tu ferais mieux de marquer des points en te rendant utile ! File !!
Et je ressors du bureau dans un état de flottement vraiment trop désagréable, qui me donne limite la gerbe. Je vais tout perdre…
Les gens que je croise sont étonnement gentils, ils me demandent de mes nouvelles, et à certains commentaires je comprends que la pute en est une aux yeux de tous. Même si je me préoccupe peu de ce que les autres pensent de moi en général, j’avoue que je n’étais pas tranquille à l’idée de revenir bosser… même si de toute évidence ça risque de ne pas durer très longtemps…
J’enchaine donc avec les consults les plus pressées, et je passe ma journée à parer au plus urgent. J’ai pris soin de ne pas passer devant sa chambre. On ne s’est pas expliqué, je ne sais pas comment il vit tout ça… et je dois avouer que je m’en branle, ce n’est plus mon problème. Je dois me concentrer sur moi, et sur cette merde dans laquelle je me suis mis.
18H00. J’ai pu venir à bout de cette journée de fou. Ma jambe me lance un peu, elle a, semble-t-il, eu le temps de s’habituer à ne pas être sollicitée pendant ces quelques jours de « repos ». Je vais récupérer mes dossiers et je croise Élisabeth.
- Alors Mickaël ? Comment est-ce que tu vas ?
- Ça va…
- Vraiment ?
Son regard est vif et brille de toute l’intensité de son intelligence, l’intelligence de la vie.
- Je sais pas… je comprends pas en fait… j’ai été trop con… à tous les niveaux…
- Je te trouve dur avec toi même là…
- Tu crois ?? Putain je sais comment ça marche pourtant, j’aurais dû être le mieux placé pour savoir et comprendre ce qu’il avait dans la tête…
Elle pose sa main sur mon avant-bras.
- Arrête Mickaël… Tu es vraiment quelqu’un de bien, et il est naturel d’avoir envie de trouver une personne avec qui partager ce qu’on a en nous… on en a tous besoin… surtout quand on a été aussi abimé… Alors, ne t’interdis pas de vivre. Vivre c’est aussi commettre des erreurs, regretter, douter… tu sais depuis le temps je te connais un peu, et je crois savoir que tu ne te serais pas engagé avec lui si tu n’avais pas eu de bonnes raisons de le faire…
Des larmes silencieuses roulent mes joues. Je me détourne.
- Je savais qu’il faisait que compenser, qu’il était hétéro, qu’il transférait juste ses doutes et ses peurs sur moi parce que j’étais là pour lui… parce que je le comprenais… pourtant je me suis fait avoir comme une merde…
- Je pense que tu te trompes…
Je me redresse pour la regarder dans les yeux.
- Les seules fois où on l’a entendu parler la semaine dernière, ça a été pour nous demander où tu étais, et si on avait des nouvelles de toi…
Ses mots me bloquent la respiration.
- Il est au courant pour ma crise ?
- Dans les grandes lignes au moins… l’information a vite circulé…
- Ouais… jusqu’au comité…
Je me lève en soupirant.
- Tout le monde est de ton côté Mickaël. On sait tous que ça peut arriver de se lier à un patient, et tout le monde dans le service est prêt à attester que ton travail avec Hakim a toujours été irréprochable, et qu’il a eu les meilleurs soins possible…
- Sauf qu’il ne les aura plus… et le comité va sûrement s’attarder sur ce point-là… et si j’ai compromis sa rééducation ils vont sûrement me…
Je ne peux pas terminer ma phrase, comme si prononcer ces mots pouvait rendre cette éventualité encore plus vivante.
- Tu devrais t’accorder un peu de temps pour prendre du recul… et tu devrais peut-être penser à aller lui parler… que tu saches ce qu’il a à te dire…
- Nan… le voir est bien la dernière chose dont j’ai envie…
- Il faudra bien pourtant que vous mettiez les choses à plat… tu ne pourras pas passer à autre chose sinon…
- J’ai pas envie de m’attirer plus de problèmes…
Je pars avec ma montagne de dossiers dans les bras, résigné à passer ma soirée à réorganiser mon nouvel emploi du temps.
J’arrive chez moi heureux d’avoir quelque chose à faire pour m’occuper l’esprit. Une pizza et 5 heures plus tard tout est réglé. Seul son dossier n’a pas été intégré dans mon planning qui va, je pense, me mettre bien KO. Je vais me doucher, et quand je repasse au salon pour éteindre je le vois sur la table basse. J’hésite quelques secondes et je me décide à le prendre avec moi avant d’aller au lit. Je ne sais pas pourquoi, il est bien évident que je ne vais pas trouver d’explications à son comportement en épluchant la copie de son dossier médical, mais… c’est comme si j’avais besoin de le faire… Je reprends donc tout depuis le début, et son arrivée au CHU après l’accident. En général, je ne consulte que les éléments physiques et la raison pour laquelle je dois intervenir, en laissant la psycho de côté pour ne pas être influencé. Je préfère voir la rééducation du patient comme la solution, ses états d’âme n’ont pas à interagir avec ce pour quoi je suis là.
Dépression. Irritabilité. Épisodes violents. Idées suicidaires. Apathie. Avec pour réponse anxiolytiques et antidépresseurs à hautes doses. Je dois avouer que je ne m’attendais pas vraiment à ça, pas dans cette mesure du moins. Je scrute donc son dossier dans les moindres détails, à la recherche d’un début de réponse, et je remarque rapidement que les prescriptions ont soudainement diminué pour rapidement s’arrêter. Je consulte l’historique en ligne pour checker les dates, et je bloque… ça coïncide avec ma reprise à l’hôpital et le début de sa rééducation avec moi.
Mickaël
one.mik.kal@gmail.com
Autres histoires de l'auteur : La promesse, +1 histoire en accès avant première