Rencontre de Kévin
Hey mec, t’aurais pas une petite pièce ?
J’ai horreur des mendiants et pressé sans faire attention à lui j’ai continué mon chemin avant qu’il me rattrape et me saisisse par le bras.
Hey mec, dit-il à nouveau, j’ai faim !
Profitant de cette interruption, je le regardais enfin. Brun, les cheveux en bataille, pas très grand et très jeune, mon solliciteur faisait un peu peine à voir. Ses vêtements froissés et son teint pâle trahissait qu’il devait manifestement avoir passé les dernières nuits dans la rue. Mon regard glissant de sa main à son visage, je lui répondis :
Je ne te donnerai pas d’argent, mais si tu veux de l’aide, viens chez moi, je serai heureux de te donner à manger, prendre une douche et tu pourras même laver tes frusques. Ça te convient ?
Euh, je sais pas, tu veux vraiment pas me donner du fric ?
Non, par principe, je ne donne jamais d’argent aux solliciteurs, mais si tu viens chez moi, tu auras à manger, c’est bien pour ça que tu m’as demandé de l’argent ?
Je dégageai mon bras de son étreinte et je continuais mon chemin vers la gare pour rentrer chez moi. Je ne fis plus attention à lui jusqu’à ce qu’il me tape sur l’épaule.
Me tournant vers lui, je lui demandais :
Qu’est-ce que tu veux encore ?
Euh, ça tient toujours pour manger chez toi ?
Bien sûr, mais dépêche-toi tu vas me faire louper mon train !
Ok, mais j’ai pas de billet !
Pas de soucis, je te l’offre, magne-toi !
On montait dans le train et on échangea quelques banalités jusque chez moi. Il tenta de se justifier à mendier dans la rue, mais n’était pas très convaincant, et à vrai dire, je m’en fichais.
Quand nous sommes arrivés chez moi, je lui ai montré la salle de bain. Je lui ai donné une serviette propre et lui ai indiqué qu’il pouvait prendre une douche pendant que je préparais le repas. Le laissant seul, je suis passé dans ma chambre pour prendre des sous-vêtements et un jogging que j’ai déposé devant la porte de la salle de bain. J’ai lancé une machine avec ses vêtements sales avant de me diriger vers la cuisine.
Alors que j’étais en train de couper du pain, j’ai entendu une toux derrière moi, je me suis retourné et l’ai trouvé dans l’embrasure de la porte, nu.
Mais qu’est-ce que ???
C’est pas ce que tu voulais ? dit-il en secouant son paquet de façon obscène.
Me remettant un peu de ma surprise, j’en profitais pour détailler son corps qu’il m’exposait sans complexe. Il ne devait pas mesurer plus d’1,70 m et sans doute pas plus de 60 kg. Il était maigre, mais pas émacié. Son torse était nerveusement musclé, quelques poils bruns descendaient en un fin filet jusqu’à son pubis qui était assez broussailleux, ses jambes assez poilues et finement musclées. Son visage s’ombrait d’une barbe morcelée comme souvent à cet âge-là. Et sa bouche s’ornait d’un sourire mal assuré qui se voulait conquérant.
Non ! et en me détournant, je lui montrai le repas que j’avais préparé. Quand j’ai dit déjeuner, je voulais vraiment dire déjeuner. Je n’ai pas l’intention de baiser avec toi !
Ah, je pensais que tu n’osais pas me le dire directement !
Non, dis-je, de plus on n’a même pas négocié le tarif ou quoi que ce soit.
Du coup, tu veux que je te baise ?
Je t’ai dit non
Mais… t’es gay ?
Oui, mais là n’est pas la question, aller, vas passer les fringues que je t’ai données et vient manger.
Quelques minutes après, il revint dans la cuisine, cette fois-ci habillé. Mais il flottait dans mes vêtements, il faut dire qu’avec son gabarit de crevette comparé à ma carrure d’ours, il aurait pu porter que le haut du jogging sans que je ne puisse voir son paquet.
Tu ne m’as même pas dit ton prénom, moi c’est Bastien
Kévin
Nous avons mangé en échangeant quelques mots, et après la dernière bouchée, il reprit :
Pourquoi tu fais ça ?
Pourquoi je fais quoi ?
Ben, tu m’invites à manger, tu me fais prendre une douche, t’es gentil avec moi…
Disons que je soigne mon Karma…
C’est un peu facile…
Si c’est si facile, on se demande pourquoi plus de personnes n’en font autant…
… peut-être parce qu’ils n’ont pas les mêmes motivations que toi ?
Alors là jeune homme, dis-je en haussant un peu la voix, tu me fais un procès d’intention. Certes, tu es agréable à regarder, mais si je t’offre à manger, ce n’est pas pour être payé en retour, du moins pas tout de suite, pensais-je en moi-même. J’ai vu que tu étais dans la merde, j’ai les moyens de te donner un petit coup de pouce, fin de l’histoire.
Coupant court à la conversation, je lui ai montré la console de jeu et lui ai dit qu’il pourrait récupérer ses fringues dans la machine lorsque le cycle serait terminé.
Si le cœur t’en dit, tu peux rester diner ce soir aussi, tu rencontreras mes autres protégés
Sur ce, je l’ai laissé devant la télé et je suis monté dans mon bureau pour vaquer à mes occupations.
Ce n’est que lorsque Stéphane eu frappé à ma porte pour m’annoncer que le diner était prêt que j’aie relevé la tête. Je descendis et m’apprêtais à m’excuser auprès de Kévin pour l’avoir laissé tomber, mais je le trouvais occupé à plaisanter avec les autres mecs de la maisonnée comme s’ils étaient des amis d’enfance. Il riait avec les autres, participant à la préparation du repas. Tout le monde me salua. Je remarquais que Kévin avait repris ses fringues.
J’ai l’impression que vous avez fait connaissance ?
Quelle surprise tu nous fais Bastien, tu l’as ramassé où celui-ci ?
Alors, je ne l’ai pas ramassé comme tu dis, je l’ai rencontré sur le chemin du retour, il faisait peine à voir. Je l’ai invité à déjeuner et à se refaire un peu. Puis, m’adressant à Kévin, tu veux dîner avec nous ce soir ?
Oh, oui, je veux bien
De toute façon, on lui a déjà mis un couvert, reprit Stéphane
De bonne grâce, je m’installai à ma place de patriarche, celle en bout de table, et nous avons commencé à manger joyeusement avec mes protégés. En dehors de Stéphane, j’hébergeais également Tristan et Daniel. Ces trois-là étaient aussi différents qu’on puisse l’être. Stéphane était blond cuivré, aux yeux bleus, la peau constellée de tache de rousseur trahissait ses origines britanniques. Il pratiquait la natation en club et portait ses 105 kg sur une carrure imposante d’1,95 m.
Tristan, lui, culminait à 1,75 m et avait une silhouette harmonieuse. Les cheveux poivre et sel, il portait bien sa fin de trentaine. D’un naturel très réservé, il se contentait de regarder le monde sans un mot de ses yeux noirs.
Enfin, Daniel était un grand blond à l’air un peu hautain. Nous le taquinions souvent en l’appelant Sheldon, en référence au personnage de « String Theory ». Mais s’il en avait la silhouette, il n’en avait heureusement pas le caractère et il était d’un naturel enjoué, plaisantant facilement avec les nouveaux venus.
Nous partageâmes le repas en bons camarades, chacun évoquant sa journée et ce qu’ils pensaient faire de son week-end.
À la fin du repas, Stéphane s’adressant à moi, avec un sourire à faire fondre la banquise :
Bastien, avec les mecs, on s’est dit que Kévin ne pouvait pas retourner à la rue, il est sympa et y’a un lit de libre dans ma chambre. Il pourrait rester le temps de se retourner ? On pourrait aller chercher ses affaires ce soir. Tu es d’accord ?
Si Kévin est d’accord, et vu que vous semblez avoir déjà tout prévu…
Bon, j’avoue que j’aurais dû te laisser le proposer toi-même, comme tu l’as fait pour nous tous !
Je piquais un far et me détendis, effectivement, j’ai pour habitude d’héberger les beaux mecs qui en ont besoin, c’est mon côté bon samaritain… et ça remplit ma grande maison plutôt agréablement…
Les regards se tournèrent vers Kévin dont le regard se mouilla brièvement, avant qu’un timide sourire n’illumine son visage
On dirait que je n’ai pas vraiment le choix… alors, merci, je veux bien », fini-t-il alors qu’une petite larme coulait sur sa joue.
Les garçons se levèrent pour le cajoler bruyamment et la petite bande s’organisa rapidement pour aller chercher les affaires de Kévin en voiture.
Eh les garçons, vous n’oubliez pas quelque chose ?
Euh…
Qui débarrasse la table et fait la vaisselle ? Aller, zou !
Je remontais dans mon antre pendant que Tristan s’occupait des tâches ménagères.
Un peu plus tard dans la soirée, je descendis au salon pour trouver ma petite équipe, affalée sur le canapé, regardant une série en discutant doucement. Je remarquais que Kévin s’était endormi.
Les garçons, dis-je à voix basse, je crois que notre invité est un peu claqué. Il est temps de conclure la soirée.
Les regards se tournèrent vers lui et Stéphane, un peu penaud me fit un sourire contrit et entrepris de s’occuper de Kévin. La petite bande se dispersa pour vaquer à ses occupations vespérales. Je croisai Kévin qui attendait devant la salle de bain avec un regard ensommeillé.
Merci, dit-il en ravalant un sanglot
Je le pris dans mes bras et le serrai doucement et lui dis « Bienvenue », avant de retourner dans ma chambre sans un mot.
Quelques années auparavant, mes parents m’avaient légué à leur mort cette grande maison que j’allais dorénavant habiter seul. Au bout de quelques mois de solitude, il me vint l’idée de partager la maison avec d’autres mecs. Je disposais de 3 chambres en dehors de la mienne. N’ayant pas trop envie de passer une annonce pour trouver mes locataires, j’avais laissé faire le hasard et mon naturel altruiste aidant, j’avais recruté mes locataires au hasard des rencontres, un peu comme Kévin. Stéphane avait été le premier, rencontré dans une fête avec des amis, au détour d’une conversation, il m’avait avoué s’être séparé de sa copine et cherchait un canapé chaque soir. Après une courte discussion, nous avions convenu qu’il emménagerait chez moi le lendemain. Le problème du loyer avait été vite réglé et c’est avec naturel que nous nous croisions matin et soir pour notre toilette ou le repas.
Tristan avait été le suivant, il m’avait été recommandé par Stéphane. C’était un de ses collègues de travail et son propriétaire voulait récupérer son appartement, il se retrouvait donc à brève échéance à la rue. Encore une fois, l’emménagement fut rapide.
Enfin, Daniel fut le dernier locataire. C’était un coéquipier de water-polo de Stéphane, je n’avais pas bien compris pourquoi il avait besoin d’une chambre, mais j’en avais une de libre, pourquoi lui refuser ?
Afin que la cohabitation se déroule correctement, j’ai pensé que nous devions établir quelques règles :
- On s’habille dans la maison, pas question de déambuler en sous-vêtement et encore moins à poils.
- On ne reçoit personne à la maison, exit les plans q… sauf pour le maitre séant (moi donc), mais d’un naturel paisible, je n’ai jamais abusé de cette règle.
- On se fait une réunion tous les lundis pour régler la colocation et qu’ils me remettent leur loyer.
La vie a continué comme d’habitude, et comme tous les lundis, nous avions notre réunion pour payer le loyer et évoquer les problèmes de chacun. Puis vint le cas de Kévin, je lui proposais de rester définitivement parmi nous, s’il le désirait.
Kévin accepta avec gratitude et il ne lui fallut pas longtemps avant de trouver un petit boulot afin de s’assumer pleinement parmi nous.
Christophe
bcastafiore@hotmail.com