Sauvetage réciproque -1
Encore une soirée d'une banalité affligeante... et encore un mec que je ne reverrai pas, après seulement quelques heures passées autour d'un premier dîné.
Je retourne à ma voiture et j'entends des cris, probablement une soirée qui se termine bien plus mal que la mienne. J'entre dans le parking et je découvre l'origine de ce raffut. Plusieurs mecs sont en train de s'en prendre à un autre. Le pauvre gars est à terre, entouré par les autres qui le rouent de coups. Je prends aussitôt mon téléphone est compose le 17. Je ne sais pas s'ils en ont terminé ou bien si c'est mon arrivée qui les a dérangé mais toujours est-il qu'ils déguerpissent en courant.
Je me précipite vers le malheureux qui ne se relève pas. Au bout du fil, le serveur de la police.
Je suis à côté de la silhouette dont je ne vois pas grand chose à cause de l'éclairage insuffisant à cet endroit.
Comment ça va? J'appelle les secours.
Nan pas les secours. Ça va aller..
Il tente de se relever mais grogne de douleur et reste au sol.
Police nationale bonsoir.
Bonsoir il y a eu une bagarre au Parking du Centre, il y a un blessé.
Quel est votre nom Monsieur?
Toujours incapable de se mettre debout il tourne la tête vers moi et semble me supplier.
S'te plaît appelle pas les flics...
Allo?!
Je ne sais pas quoi faire. Je lis une telle détresse dans ses yeux...
Allo?!
S'te plaît...
Je raccroche.
Comment tu te sens? T'as mal où?
Putain partout.
Tu penses avoir quelque chose de cassé?
Nan j'pense pas..
Relève toi les flics ne vont pas tarder je pense.
Je l'aide tant bien que mal à se mettre à genoux, puis à se lever. Il s'appuie sur moi car ses jambes ont manifestement de la peine à le stabiliser.
Il y a quelqu'un que je peux prévenir?
Nan personne.
Je peux te déposer quelque part? Chez toi?
Non c'est bon j'vais m'démerder.
Il essaye de tenir debout seul mais manque de tomber et reprend appui sur moi.
T'as une voiture?
Non.
Viens tu peux pas rentrer tout seul dans cet état.
Je l'accompagne donc jusqu'à ma voiture, garée à quelques mètres de là. Le mec est assez baraqué et pèse son poids, c'est donc avec soulagement que je l'aide à s'installer côté passager. Je démarre et sors du parking, puis je lui demande où je dois le conduire.
Nulle part.
J'insiste sur le fait que je ne peux pas le laisser seul ici, et que soit je le raccompagne chez lui soit je rappelle les secours.
J'ai nulle part où aller.
Il a prononcé ces mots avec un tel désespoir que je ne trouve rien à répondre. Une seule certitude s'impose à moi: je ne peux pas le laisser comme ça, je prends donc la direction de mon appartement.
Nous n'échangeons pas un mot pendant le trajet, il ne me demande même pas où je l'emmène.
Ce n'est qu'une fois dans l'ascenseur que je peux enfin voir de quoi il a l'air. Si on fait abstraction de son oeil et sa lèvre tuméfiés, et du sang qui recouvre une bonne partie de son visage, j'ai face à moi un très beau garçon. Il est un peu plus grand que moi, semble plutôt musclé et bien proportionné, mais il fait peine à voir. Le pantalon de survêtement qu'il porte ainsi que son sweat sont tâchés de sang et de terre. Il se tient contre le fond de l'ascenseur. Arrivés chez moi, je le fais s'installer dans un fauteuil et vais chercher de quoi le soigner un peu.
Je commence par lui passer un gant de toilette bien frais pour nettoyer le sang qui a commencé à sécher sur son visage. Il grimace à chaque passage mais ne se plaint pas. Je le rince plusieurs fois et je peux enfin constater l'étendue des dégâts. Ça n'a pas l'air trop méchant. L'arcade et la lèvre inférieure ont éclaté mais les plaies sont minimes et devraient cicatriser rapidement. Après avoir désinfecté je pose des strips sur l'arcade blessée.
T'as l'habitude on dirait.
Je réponds par un petit rire.
T'es médecin ou un truc du genre?
Non mais j'ai l'habitude des bagarreurs...
Il m'interroge du regard donc je précise:
J'ai vécu avec un mec qui rentrait souvent dans le même état...
T'es PD?
Il m'a demandé ça d'une manière très neutre, n'affichant ni surprise ni animosité.
Ça te pose un problème qu'un PD te soit venu en aide?
Nan j'm'en fous...
Je suis soulagé de sa réponse. Non que je me sente obligé de me justifier devant cet inconnu mais ça m'aurait fait chier qu'il me manque de respect après ce que j'ai fait pour lui.
Tu devrais prendre une douche, c'est bon pour ce que tu as.
T'aurais pas quelque chose à boire? Un truc fort...
Vas prendre une douche je te fais couler un café.
T'as pas d'l'alcool?
J'ai envie de sourire devant tant de naturel.
Un café c'est bon pour ce que tu as...
Il me lâche avec un petit sourire qui le fait grimacer à cause de sa lèvre blessée:
T'es qui toi? Mon ange gardien?
Je me contente de sourire et l'invite à me suivre jusqu'à la salle de bain.
Par contre j'ai rien pour m'changer...
Je vais voir ce que je peux faire.
Devant mon dressing, je mets la main sur un pantalon de survêtement et un tee shirt que je mets pour faire du sport. Le tout est un peu large pour moi, ça devrait lui aller. Je prends un caleçon également trop grand. Je pose le tout près de la douche avec une serviette de bain et un gant. Il a commencé à se déshabiller et se redresse, en boxer Armani blanc. Je ne m'étais pas trompé, il est vraiment bien proportionné, son corps est musclé et bien dessiné. Je ne m'attarde pas plus, je n'ai aucune envie qu'il me prenne pour le PD de service, en chien, prêt à sauter sur tout ce qui bouge. Je m'apprête à sortir quand:
Au fait moi c'est Karim. Et toi?
Joséphine..
Il éclate de rire et se tient aussitôt les côtes, un hématome laissant deviner une douleur cuisante.
C'est Mickaël...
Merci Mickaël. T'as assuré...
Je le gratifie d'un léger sourire et sors.
À la cuisine j'ouvre la fenêtre et m'allume une clope. Je repense à cette soirée qui se solde bien curieusement.
Perdu dans mes pensées je sursaute quand il me remercie pour la douche et les vêtements.
C'est rien...
Je connais peu d'gens qui auraient fait s'que t'as fait ce soir...
Je lui souris et lui fait son café.
Je peux te demander ce que tu as fait pour mériter un tel traitement?
Il boit une gorgée et se renfrogne quelque peu.
Rien.. c'est pas important..
Je décide de ne pas insister.
Tu vas dormir dans ma chambre, tu as besoin d'un lit confortable, je vais prendre le canapé.
Nan nan tu déconnes le canapé m'ira très bien!!
Non on n'y dort pas très bien, tu as besoin de repos plus que moi donc de mon côté ça fera l'affaire t'en fais pas.
Et sans le laisser répondre je vais dans la chambre refaire le lit avec des draps propres. Quelques secondes plus je sursaute une nouvelle fois:
Pas la peine de changer les draps à t'voir ça d'vrait aller.
Sous la surprise je ne comprends pas.
Quoi?
Bah t'as l'air propre, ton appart aussi alors c'est bon. Et pis ton lit est assez grand pour deux, alors j'accepte d'y dormir uniquement si t'y dors aussi.
Je ne peux m'empêcher de sourire.
T'as pas peur que je te saute dessus pendant ton sommeil?
Il rit à nouveau et à nouveau se tient les côtes.
Jamais testé mais p't'être que j'kifferais!
Je me contente de rire à mon tour et termine malgré tout de refaire le lit propre.
Nous nous couchons rapidement, je conserve mon caleçon, tout comme lui. Je me retourne sur le côté, lui tournant le dos. Je repense à cette curieuse soirée, à cet inconnu qui partage mon lit, je me dis que la vie est quand même bien bizarre. Je commence à m'assoupir quand je le sens bouger et se coller contre moi.
Qu'est ce que tu fais?
J'ai envie d'te remercier pour s'que t'as fait pour moi..
Et vu que je suis PD un ptit coup de bite devrait faire l'affaire c'est ça?
Il s'écarte.
Nan c'est pas s'que j'ai voulu dire! En fait tout à l'heure quand j't'ai dit que j'avais jamais testé avec un mec bah c'est pas vraiment le cas, et... bah en plus du reste tu m'plais... surtout tu m'plais...
Allez repose toi, dans ton état c'est ce que tu as de mieux à faire...
Il se recolle contre moi, sa main gauche se pose sur mon ventre et m'attire plus près contre lui. Sa bouche dépose de petits baisers dans mon cou et sur ma nuque, et son bassin donne de légères impulsions contre mes fesses. Je sens son sexe durcir, le mien fait de même, mais je n'en ai pas envie, pas dans ces conditions.
Repose toi Karim.
Arrête j'ai...
Je le coupe, je ne pourrais pas résister longtemps sinon.
Dors! T'as besoin de repos!
Quelque secondes passent et il me lâche et se retourne de son côté.
Je mets du coup un long moment à m'endormir. Je bloque sur le contact de son corps chaud contre le mien, sur les frissons provoqués par ses caresses et ses baisers. Je regrette de l'avoir rembarré. Putain mais qu'est ce qui cloche avec moi?! J'ai dans mon lit un mec qui me plaît, que manifestement je ne laisse pas indifférent et je le recale!! mais d'un autre côté ça fait tellement longtemps..
Je n'ai pas dormi plus de 3 ou 4 heures quand je me réveille, sentant qu'il est revenu à la charge. Mais cette fois il se contente de me prendre dans ses bras, forçant délicatement le passage sous ma tête pour y glisser son bras droit, son autre main posée sur ma hanche. Une fois de toute évidence bien installé, il ne bouge plus. J'entends sa respiration lente et profonde, je sens son souffle chaud sur ma nuque, et je me surprends à être apaisé. Il ne fait pas encore jour et je me rendors donc dans cette position.
J'ouvre les yeux au petit matin, le réveil affiche 8:48. Un véritable exploit et une vraie grasse matinée pour moi. Karim est toujours endormi contre moi. Je me dégage doucement pour ne pas le réveiller et vais prendre une douche. Quand je reviens dans la chambre récupérer dans le dressing de quoi m'habiller, il dort toujours, sur le dos, son torse découvert. C'est vraiment un très beau garçon.
Mon petit déjeuner pris, ma première cigarette inhalée, je déballe PC et dossiers et m'attelle à un projet que je dois fignoler pour lundi. J'ai 25 ans, je suis un jeune architecte dans un bon cabinet de la capitale. Je loue un beau trois pièces dans le quartier de l'avenue Foch dans le 16e. Côté physique je n'ai pas vraiment à me plaindre, je suis souvent épinglé de l'étiquette du ''bogosse'' du groupe, de la classe, de la boite. Même si c'est évidemment toujours flatteur, j'arrive à un âge où je ne m'en préoccupe plus vraiment. Je sais bien que ma gueule n'est pas un handicap, et c'est tout ce à quoi je m'attarde. Ça peut paraître prétentieux pour certains, pour d'autres j'apparais comme tel, mais je ne considère pas avoir de comptes à rendre à quiconque. Tout paraît donc parfait dans ma vie, mais il me manque l'essentiel: quelqu'un avec qui la partager. Après une difficile rupture il y a près d'un an et demie, je n'ai retrouvé personne capable de combler ce vide.
Tu bosses?
Il a vraiment le chic pour me faire sursauter.
J'acquiesce par un sourire.
J'suppose qu'il faut bosser pas mal pour s'payer un appart pareil dans s'quartier.
Oui, je n'ai pas vraiment le temps de m'ennuyer c'est vrai.
Et tu fais quoi?
Selon toi?
À la table chelou et aux plans dessus... j'dirais architecte?!
Bien vu. Ça fait quelques mois que je suis diplômé...
Puis la journée s'est passée sans que je ne travaille beaucoup, nous avons parlé, de tout et de rien, surtout de rien d'ailleurs. Chaque fois que la conversation prenait un tournant trop personnel, il savait plus ou moins subtilement revenir à des sujets plus légers jusqu'à ce moment:
Pourquoi t'es seul?
Je suis scotché par sa question. Il y aurait tellement de choses à répondre et en même temps si peu à avouer.
Pourquoi cette question?
Lui ne se démonte pas.
Regarde toi! J'ai rarement vu un keum aussi classe que toi! T'es intelligent, t'as un bon job, tu fais délirer, sérieux j'comprends pas! Sans parler d'ton physique! T'envoies du rêve j'te jure!
Je crois que j'ai bêtement rougi.
Je crois que ça doit pas être si simple. Il faut trouver déjà, et puis il faut en avoir l'envie. Ouais, c'est peut être par choix dans le fond...
Il m'observe attentivement. J'ai le sentiment qu'il scrute chaque réaction, chaque expression que je vais trahir, ses yeux me fixent, son regard semble suffisamment affûté pour me découper et me passer aux cribles.
On choisi jamais d'être seul. On peut avoir peur, on peut culpabiliser, on peut s'punir, mais on a jamais envie d'être seul.
Et toi alors? Seul? Pour quelles raisons?
Son regard s'intensifie encore. J'imagine que son cerveau est en effervescence, triant ce qui doit être dit ou non. Il semble aux prises avec un combat intérieur intense. J'en viens à regretter d'avoir posé la question quand il éclate de rire:
Qui t'dit que j'suis seul?
Tu ne l'es pas?
Son rire se mue en sourire.
Si..
Et pourquoi? Tu culpabilises? T'as peur? Tu te punis?
J'ai peut être peur de culpabiliser!
Ou de devoir te punir?!
Son rire s'étouffe dans un soupire.
Peut être bien..
Il me fixe à nouveau avec intensité. Je suis assis dans mon vieux club en cuir, lui est installé dans le canapé. Tout semble fonctionner au ralenti, comme si nous savourions l'instant précédant ce qui paraît inéluctable. Il brise cet instant troublant en riant:
Arrête de m'regarder comm'ça là!
Je ris à mon tour.
Qu'est ce qu'il y a?
Ses yeux se rivent une nouvelle fois sur moi, son regard de carnassier me jauge, mais sans qu'aucun danger ne semble flotter dans l'air, à moins que la proie, quelque peu suicidaire, ne cherche à se faire dévorer par le fauve qui salive en la détaillant.
Putain t'as envie que j'te saute dessus ou quoi?!
Ne me sentant pas prêt à poursuivre sur cette voie, je le toise quelques secondes puis me rends à la cuisine et m'allume une cigarette. Quelques minutes plus tard, alors que j'en allume une seconde, il me rejoint, m'imite et entreprend également de fumer à la fenêtre. Nous nous retrouvons côte à côte, nos épaules se pressant franchement l'une contre l'autre. Nous nous regardons, un léger trouble s'installe. Je me régale de son visage si beau, de ses yeux dont j'aimerais tellement comprendre tous les secrets. Puis soudain, il mime une moue perplexe, son sourcil gauche se fronce comiquement et il me lâche:
J'crois que j'commence à avoir peur de culpabiliser...
MiKaL
memyandi@live.fr
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